Les excuses en politique
La notion d’excuses publiques est un concept assez récent qui n’avait pas d’assise même à l’époque où j’étais en politique
Des règles non écrites nous étaient prescrites quand il s’agissait de reconnaître une erreur ou encore d’accepter des torts. Essentiellement le message était toujours le même: on ne s’excuse pas pour les erreurs commises, encore moins quand elles l’ont été par des gouvernements précédents.
La deuxième règle que l’on applique encore malheureusement trop souvent de nos jours consiste à ne pas prendre le blâme pour quoi que ce soit. Un peu comme le dogme d’infaillibilité pontificale adopté par l’Église au Concile de 1870, on nous laissait croire que l’excuse était l’arme des faibles et qu’un politicien sérieux ne s’en servait pas!
Heureusement, les choses changent pour le mieux et voilà que le repentir semble maintenant acceptable même dans le monde politique.
La contrition, plusieurs d’entre nous s’en souviennent, est un geste important en religion. Il en est de même dans notre système de justice où les peines sont prescrites en fonction du niveau de repentir exprimé par l’accusé.
Au cours des dernières semaines, Justin Trudeau semble avoir démontré beaucoup de sincérité en présentant au nom du peuple canadien des excuses longtemps attendues, d’abord aux Inuits du Labrador et de Terre-Neuve, ensuite à la communauté LGBT2 pour le traitement qu’ont subi des milliers de gais et de lesbiennes dans les Forces armées et dans le gouvernement en général, sans oublier les excuses un peu plus contestées à Omar Kadhr détenu trop longtemps dans les prisons de Guantanamo.
Il faut donner le crédit à Brian Mulroney parce qu’il fut le premier à offrir des excuses publiques au nom du gouvernement. En 1988, il s’est excusé auprès des Canadiens d’origines japonaises pour les mauvais traitements qu’on leur a fait subir pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 2008 Stephen Harper récidive en s’excusant auprès des membres des Premières Nations pour les écoles résidentielles, haut lieu d’assimilation et d’abus de toutes sortes.
Suivront par la suite une série d’excuses relatives à des sujets divers tels que l’imposition d’une taxe sur les immigrants chinois de1885 à 1923, l’exécution sommaire de soldats canadiens faussement accusés de trahison pendant la Première Guerre mondiale, ou encore l’interdiction d’entrée au pays d’un navire de réfugiés sikhs.
À l’exception du dernier exemple, il faut reconnaître que toutes ces excuses n’auraient s’en doute pas étés acceptées si elles n’avaient pas été accompagnées de compensation financière importante. C’est d’ailleurs une différence notoire entre le point de vue des deux Trudeau: le père quand il était à la tête du pays, s’opposait obstinément à toutes formes d’excuses alors que le fils en fait presque une marque de commerce. Autre temps, autres moeurs dirons-nous!
Pour ma part, il me paraît tout à fait normal pour les politiciens d’exprimer des regrets et de transmettre des excuses pour corriger des actions inacceptables pour des millions de Canadiens. Voir nos politiciens essuyer quelques larmes de temps en temps nous rappelle qu’ils sont tous des humains!
Quand est-ce que des excuses sont appropriées et quand perdent-elles de leur valeur? Chaque excuse donnée par un gouvernement va trouver un auditoire. Pourtant, lorsque l’on regarde la tendance et le nombre, la population semble commencer à remettre en question leurs véritables valeurs.
Que des gouvernements s’excusent pour des erreurs commises durant des années au pouvoir est tout à fait acceptable. Est-ce aussi valable de remonter en arrière jusqu’à des centaines d’années afin d’excuser des décisions prises dans des conditions politiques très différentes?
Que l’on soit prêts à entendre aujourd’hui des plaintes et des demandes d’excuses pour des décisions prises sans être prêts à considérer l’environnement politique, social et économique de l’époque m’apparait inconcevable.
Lorsque j’entends les arguments qui justifient les excuses pour les enfants des Premières Nations ou les orphelins placés dans des familles, des écoles ou des institutions, j’essaie de me situer dans l’environnement et le raisonnement des dirigeants de l’époque. Je suis convaincu que les élus étaient des pères et mères de familles qui voulaient un avenir et de meilleures chances pour tous les enfants, incluant les leurs.
Plusieurs de ces enfants ont trouvé de très bons foyers d’adoption. Ils ont été bien nourris, éduqués et ont contribué à bâtir notre pays. D’autres ont malheureusement vécu dans des conditions déplorables, ont été abusés et ont, hélas, comme bien des enfants, perdu une partie de leur enfance et ressenti les séquelles pour le reste de leur vie.
Des personnes malades ou dérangées psychologiquement ne sont pas la norme, mais font encore partie aujourd’hui de notre société et continuent de détruire l’avenir de plusieurs enfants.
Dans un passé pas très lointain, des enfants âgés de 10 ou 12 ans travaillaient dans des mines de charbon ou des chantiers forestiers. Des Jésuites et des individus qui étaient considérés comme des sorciers étaient brûlés vivants alors que d’autres étaient lapidés sur la place publique pour avoir été infidèles ou avoir volé.
Plus près de nous, des gens étaient insultés sur la place publique pour des actions répréhensibles. Est-ce que tout ce beau monde mérite des excuses? Est-ce que les parents adoptifs d’enfants en provenance de pays en voie de développement et qui veulent leur donner un avenir meilleur seront accusés et devront s’excuser plus tard pour les avoir retirés de leurs familles, leurs villages ou leurs cultures?
Les centaines de millions de dollars donnés de nos jours pour des décisions du passé seraient-ils mieux investis afin d’aider à réduire le taux de pauvreté qui empêche très souvent les enfants d’atteindre leur plein potentiel.
Est-ce que le gouvernement qui favorise la consommation de marijuana alors que des milliers de personnes meurent chaque année des conséquences du tabac et de la drogue devra s’excuser dans quelques années et compenser les victimes?
Des excuses pour des motifs politiques ou des selfies pour saisir une larme, perdent de leur valeur et sont inappropriées.