AGRESSIONS SEXUELLES: LA LOI DU SILENCE PRÉVAUT AU N.-B.
«Il y a des organisations qui ont sérieusement besoin de se regarder le nombril» ‒ Pascale Paulin
«On s’inquiète de savoir combien d’autres ont été agressées et ne parleront jamais», souligne Kristal LeBlanc.
Si le Nouveau-Brunswick n’a pas connu de série de dénonciations publiques comme au Québec ou aux États-Unis, la violence sexuelle est aussi présente ici qu’ailleurs.
«Pourquoi restons-nous silencieux?», C’est la question à laquelle on tenté de répondre les participants à une conférence sur le phénomène de dénonciation #MoiAussi, mardi soir, à Dieppe.
Le déni, un sentiment de culpabilité, de honte, d’humiliation et d’impuissance, la peur ou le fait de se sentir menacé par l’agresseur sont autant d’éléments qui empêchent la parole de se libérer.
Selon Kristal LeBlanc, directrice du Centre de ressources et de crises familiales Beauséjour, les préjugés auxquels sont confrontées les victimes les empêchent de dénoncer leurs agresseurs et de partager publiquement leurs histoires.
«Est-ce qu’on demande à quelqu’un qui s’est fait voler, pourquoi tu portais cette montre, pourquoi tu étais sur la rue Main? Mais une femme qui se fait abuser, on va lui demander ce qu’elle faisait là à 2h du matin.»
Les agressions et le harcèlement existent dans toutes les villes et dans tous les milieux, interpelle Tina Thibodeau, la directrice générale du Carrefour pour femmes de Moncton. Depuis le début de l’année, le refuge de Moncton a accueilli 86 victimes de viol.
«Ce sont des personnes avec qui on vit, avec qui on travaille. Il faut arrêter de croire que ça n’arrive pas dans notre cour arrière.»
À Shediac, le Centre de ressources et de crise familiale Beauséjour a accompagné 140 femmes victimes d’agressions sexuelles en 2017. Remarques sexistes, tendance à culpabiliser les victimes, certains comportements entretiennent la banalisation de la violence sexuelle, estime la candidate libérale Courtney Pringle-Carver.
«Quand une victime de violence se présente, bien souvent on ne la croit pas, on sous-entend qu’elle l’aurait mérité. Quand on voit ces réactions, on comprend que certaines ne veulent pas subir le même genre de commentaire.»
NE PLUS FERMER LES YEUX
Plusieurs membres du public se sont levés lors de la conférence pour partager leur expérience. Pascale Paulin, propriétaire de Forté Communication, dénonce l’omerta qui entoure les cas de harcèlements en milieu de travail.
«On a tous entendu parler de gens, surtout des hommes, qui ont été en position de pouvoir dans le Grand Moncton et qui tout à coup ont changé d’emploi. Tranquillement on entend entre les branches que c’était des cas d’agressions sexuelles», allègue l’entrepreneure.
Pascale Paulin juge que les organismes et les entreprises n’en font pas assez pour protéger leurs employés.
«On les a changés de place, jusqu’à ce qu’ils fassent leur affaire et que ça se passe de nouveau. D’un point de vue corporatif dans le Grand Moncton, on accepte ça et c’est mal», lance-t-elle sous un tonnerre d’applaudissements.
«Il y a des organisations qui ont sérieusement besoin de se regarder le nombril. C’est plus qu’un cas de ressources humaines ceci. C’est accepter collectivement d’encourager des agresseurs à continuer ce qu’ils font.»
UN SYSTÈME JUDICIAIRE INADAPTÉ
D’après une étude réalisée par Statistique Canada, la police a déclaré 117 238 affaires d’agression sexuelle au Canada de 2009 à 2014. La grande majorité des victimes (87%) connaissaient leur agresseur.
Moins de la moitié (41%) des cas déclarés ont mené au dépôt d’une accusation et seulement 12% des plaintes ont mené à un verdict de culpabilité devant les tribunaux.
Cette réalité déchirante complique la tâche des organismes de première ligne, déplore Tina Thibodeau.
Bien souvent, les victimes se heurtent à un environnement peu accueillant et qui ne les soutient pas.
«Comment on dit ça à une fille de 16 ans effrayée qui ne veut rien dire à ses parents, que si elle va en cour, ça va être long et difficile et qu’il va probablement s’en sortir?»
«On sait que l’agresseur est là et va récidiver, mais on ne peut rien faire», renchérit Kristal LeBlanc.
«C’est frustrant et déchirant de voir ce qu’il se passe quand les victimes vont à la police. Elle me reviennent en disant ‘‘Vous m’avez encouragé à passer au travers de ce processus et on me juge sur tout, sur ce que je portais, où est-ce que j’étais...’’»