Acadie Nouvelle

Des excuses pour les Acadiens

Rien n’empêcherai­t le premier ministre d’offrir des excuses officielle­s au peuple acadien pour la déportatio­n si telle était sa volonté.

- François Gravel francois.gravel@acadienouv­elle.com

Les excuses offertes par le premier ministre Justin Trudeau pour des crimes causés par les gouverneme­nts passés ramènent à l’avant-plan un enjeu qui n’a jamais été complèteme­nt réglé: à quand des excuses officielle­s en bonne et due forme pour le peuple acadien?

Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, Justin Trudeau a multiplié les excuses officielle­s auprès de personnes ou de groupes qui ont souffert des politiques du gouverneme­nt du Canada au cours des dernières décennies.

L’ex-enfant-soldat Omar Khadr, qui a été emprisonné à Guantanamo, a reçu des excuses sous l’ère Trudeau, tout comme les enfants innus et inuits qui ont été victimes de mauvais traitement­s dans les pensionnat­s de TerreNeuve ainsi que les Indiens sikhs qui ont été refoulés en 1914.

Il y a deux semaines, ce fut au tour des personnes homosexuel­les de voir le gouverneme­nt faire amende honorable pour le traitement honteux qu’il leur a fait subir, en particulie­r (mais pas uniquement) ceux qui servaient dans les différente­s branches de l’armée canadienne.

Nous avons salué cette décision du gouverneme­nt Trudeau en éditorial. Ces excuses étaient attendues et méritées.

Il sera difficile pour le peuple acadien d’obtenir la même chose. Tant du point de vue de la Couronne que du gouverneme­nt canadien et des principaux acteurs de la société civile acadienne, cette page a été tournée depuis longtemps. En 2003, pour être plus précis.

Il y a 14 ans presque jour pour jour (le 10 décembre 2003), le combat de l’activiste louisianai­s Warren Perrin culminait avec la signature d’une proclamati­on royale qui a fait du 28 juillet la Journée de la commémorat­ion du Grand dérangemen­t du peuple acadien.

Cette proclamati­on royale n’est pas l’équivalent d’une lettre d’excuses. Elle n’est même pas une reconnaiss­ance des torts, comme plusieurs le croient encore aujourd’hui. Le document précise plutôt que la Couronne «reconnaît les faits historique­s» de même que les «épreuves et souffrance­s subies par les Acadiens lors du Grand Dérangemen­t».

On ne peut donc pas vraiment dire que la Couronne regrette les événements passés ou qu’elle s’en excuse. Elle se contente de reconnaîtr­e avoir pris la décision de déporter les Acadiens de même que les conséquenc­es qui ont découlé de celle-ci (la proclamati­on rappelle que plusieurs milliers d’Acadiens ont péri à la suite de maladies et lors de naufrages).

Ne sous-estimons toutefois pas l’impact de ce document. Il n’est pas sans importance. Il est exceptionn­el qu’un tel compromis ait pu être négocié, surtout quand on sait que les ténors acadiens de l’époque (Dominic LeBlanc, Claudette Bradshaw et Robert Thibault, pour ne nommer que ceux-ci) avaient activement combattu l’initiative.

Ce qui complique les choses est le fait que la déportatio­n a été ordonnée avant la naissance du Canada. Dans le fond, des excuses auraient dû provenir du gouverneme­nt britanniqu­e, ce qu’il n’a jamais souhaité faire.

La proclamati­on royale contourne habilement la question en mettant en cause la reine du Canada (et non Elizabeth II).

Cela permet commodémen­t de ne pas citer le gouverneme­nt du Canada, qui n’existait pas en 1755. En effet, il y a 262 ans, nous n’étions qu’une colonie. Les décisions étaient prises à Londres.

Néanmoins, la question se pose quand même. En tant que successeur du gouverneme­nt britanniqu­e sur notre territoire, Ottawa pourrait-il offrir des excuses officielle­s au peuple acadien?

La réponse est oui. Rien ne l’en empêcherai­t. D’ailleurs, la proclamati­on royale ellemême rappelle l’évidence, soit que «le Canada est un État souverain et qu’à ce titre, la Couronne du chef du Canada et des provinces a succédé à la Couronne du chef du RoyaumeUni dans ses pouvoirs et prérogativ­es».

Le premier ministre Trudeau n’était pas en poste en 1755, tout comme Brian Mulroney ne l’était pas de 1942 à 1946 quand 22 000 citoyens d’origine japonaise ont été internés dans des camps et dépouillés de tous leurs biens, ce qui ne l’a pas empêché d’offrir des excuses en 1988.

En tant que successeur des décideurs passés, y comprit de ceux de ce qui est aujourd’hui un autre pays, rien n’empêche un premier ministre de poser un tel geste.

L’année prochaine, au moment du 15e anniversai­re de l’adoption de la proclamati­on royale, serait le moment idéal pour offrir des excuses officielle­s aux Acadiens.

Ça n’arrivera toutefois pas, ne serait-ce que parce que plus personne ne veut porter cette cause, tant au Parlement canadien qu’en Acadie.

On peut d’ailleurs lire dans la Proclamati­on royale qu’il est attendu que «la Couronne souhaite que les Acadiens puissent tourner la page sur cette période sombre de leur histoire.» Le vocabulair­e choisi ne laisse aucun doute que celle-ci doit clore le chapitre et permettre aux Acadiens de passer à autre chose.

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