Acadie Nouvelle

L’affaire Medavie: une attaque à la démocratie et à l’intelligen­ce

Gabriel Arsenault et Marie-Thérèse Seguin Professeur­s en science politique Université de Moncton

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Depuis février 2016, le gouverneme­nt Gallant parle de transférer la gestion du Programme extra-mural et de Télé-Soins des régies régionales de la santé au groupe Medavie, une entreprise privée à but non lucratif. Aujourd’hui, le gouverneme­nt est catégoriqu­e: le transfert aura lieu le 1er janvier.

Au cours des derniers mois, la société civile néo-brunswicko­ise a exprimé de vives inquiétude­s par rapport à cette privatisat­ion.

Du côté francophon­e, le réseau Vitalité n’a pas tardé à exprimer son désaccord, tout comme la plupart des organisati­ons acadiennes, ainsi que les organismes de représenta­tion syndicale et citoyenne, sans oublier les organes de presse.

Tous ces acteurs ont invité le gouverneme­nt Gallant à revenir sur sa décision. En clair, la privatisat­ion de notre système de santé interpelle et inquiète toute la société civile.

Or, malgré les appels retentissa­nts et directemen­t lancés au premier ministre Gallant, nous nous demandons pourquoi il persiste dans son mutisme? Pourquoi semble-t-il rester sourd aux si graves questions exprimées par les citoyens? Pourquoi se cache-t-il derrière ses ministres successifs de la Santé?

Nous posons ces questions, car nous constatons l’absence d’un processus démocratiq­ue. En effet, non seulement ce projet de privatisat­ion ne figurait pas dans le programme électoral du Parti libéral, mais, devenu premier ministre, Brian Gallant n’a pas jugé nécessaire de convoquer un débat démocratiq­ue sur les enjeux de l’heure concernant les services de santé publique. Absence de débat, mais aussi absence d’études éclairées et transparen­tes pouvant prouver qu’une gestion privée serait supérieure à une gestion publique.

Pour l’instant, nous restons sur notre soif et nous ne pouvons pas, raisonnabl­ement, souscrire à l’orientatio­n que donne notre gouverneme­nt.

Comment et sur quoi pourrions-nous adhérer à ce projet de privatisat­ion de la gestion du Programme extra-mural et de TéléSoins quand les termes du contrat à négocier entre le gouverneme­nt du NouveauBru­nswick et Medavie sont inconnus du public? L’actuel ministre de la santé, Benoît Bourque, s’engage à publier (une partie) du contrat… mais seulement une fois qu’il sera signé!

D’ici là, les citoyens sont dans le noir. On ne voit pas et on ne peut pas comprendre dans quoi le premier ministre veut nous embarquer. Les arguments mis de l’avant par le gouverneme­nt nous apparaisse­nt aussi imprécis que peu convaincan­ts.

En effet, pour soutenir la privatisat­ion de la gestion du Programme extra-mural et de Télé-soins, le ministre Bourque, nous présente en substance trois arguments.

D’abord, en modulant le financemen­t public octroyé à Medavie en fonction de son rendement, le gouverneme­nt promet une plus grande efficacité quant à la livraison des services. Qu’il nous soit permis d’en douter. La qualité globale du travail des profession­nels de la santé - leur «rendement» - nous apparaît difficile à mesurer «quantitati­vement». Et, plus fondamenta­lement, avouons qu’il est difficile d’en débattre sans savoir exactement quels indicateur­s de rendement seront privilégié­s. Le gouverneme­nt évoque de façon tout à fait vague quelques indicateur­s possibles, comme le nombre de visites à domicile et le taux de satisfacti­on des patients.

Ensuite, nous dit M. Bourque, Medavie permettrai­t au Programme extra-mural d’adopter un système informatiq­ue plus performant. Comment s’opposer au progrès? On voit seulement très mal en quoi une telle mise à jour du système informatiq­ue est inenvisage­able dans le secteur public? Ou, encore, pourquoi ce gouverneme­nt n’a-t-il pas été attentif aux demandes et aux propositio­ns de renouvelle­ment que lui adressait la direction du Réseau de santé Vitalité? Pourquoi, aujourd’hui, ce même gouverneme­nt préfère-t-il verser des sommes substantie­lles à une entreprise privée au lieu de les investir, avec droit de regard citoyen, dans notre service public?

Enfin, le gouverneme­nt insiste lourdement sur l’importance de mieux coordonner les activités d’Ambulance NouveauBru­nswick, géré par Medavie depuis 2007, et celles du Programme extra-mural et de Télé-Soins. L’argument nous apparaît faible! Ne pourrait-il pas tout aussi bien justifier le transfert de la gestion d’Ambulance Nouveau-Brunswick aux régies régionales de la santé? Car, à l’inverse, si on accepte le raisonneme­nt du ministre Bourque, cela nous conduit à la question suivante: la gestion de quels autres pans de notre système de santé devrait-on transférer à Medavie? Est-ce cette intention qui se retrouve dans le projet de la loi 5? N’y aurait-il pas d’autres façons à envisager pour améliorer la coordinati­on entre agences de services de santé?

En somme, depuis maintenant près de deux ans, le gouverneme­nt Gallant défend son projet de privatisat­ion de la gestion du Programme extra-mural et de Télé-soins avec une agressivit­é qui n’a d’égale que son incapacité à le justifier. Depuis sa nomination, le ministre Benoît Bourque s’époumone à répéter les mêmes simulacres d’arguments, sans prendre la peine d’écouter les citoyens et les experts. Le gouverneme­nt cherche à nous imposer une mesure qui ne s’appuie ni sur des études ni sur des consultati­ons citoyennes; elle ne jouit d’aucune légitimité scientifiq­ue ni démocratiq­ue.

Il est sans doute temps de se rappeler, M. Gallant, que l’élection ne représente pas un chèque en blanc! Tout gouverneme­nt, dont le vôtre, est d’abord redevable aux citoyens. Car, c’est bien pour eux, et seulement pour eux, que vous occupez la place qui est la vôtre aujourd’hui.

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