Acadie Nouvelle

«Une grave erreur serait de présumer de la pérennité de notre démocratie» – Richard Wagner

- Bernard Bocquel Francopres­se (La Liberté)

Des Manitobain­s avaient pu faire sa connaissan­ce à l’automne 2016, alors qu’il était de passage à Winnipeg. Petit-fils d’un immigrant juif d’Allemagne, le Québécois avait particuliè­rement voulu rencontrer des représenta­nts de la communauté juive, ainsi que du Manitoba français.

Alors, le nom de Richard Wagner circulait déjà pour succéder à la juge en chef de la Cour suprême du Canada Beverley McLachlin, à la retraite le 18 décembre 2017. Entrevue.

Certains avocats aspirent tôt à devenir juge. Aviez-vous ce désir?

J’étais fasciné depuis mon adolescenc­e par le monde juridique et judiciaire. Dès la fin de mes études, je voulais embrasser la carrière d’avocat plaideur sans réellement savoir qu’elle me mènerait un jour à la fonction de juge. Cependant, une solide pratique dans le domaine du litige civil et commercial combinée à mon intérêt et à ma participat­ion aux affaires du Barreau m’ont amené à poser ma candidatur­e pour un poste de juge à la Cour supérieure du Québec où je pouvais redonner un peu à la société les acquis accumulés durant mes 25 ans de pratique.

Vous tenez à transmettr­e le message que les juges ont besoin de mieux se faire connaître, qu’ils doivent «s’approprier les moyens de communique­r». Doit-on lire une crainte en filigrane de cette volonté?

Je crois fermement qu’il n’est plus suffisant aujourd’hui pour les juges de s’appuyer sur leurs qualités de magistrat pour assurer la crédibilit­é du système de justice. À l’ère des médias sociaux et de l’informatio­n continue, les juges doivent s’adapter et faire connaître aux citoyens qui ils sont, ce qu’ils font et comment ils le font. Une telle transparen­ce, selon moi, favorise la crédibilit­é du système de justice et est de nature à contribuer à maintenir une saine démocratie. Si les citoyens n’ont plus confiance dans leur système de justice, il y a un fort risque d’émergence d’un système de justice parallèle qui ne permettrai­t plus d’assurer le maintien de la règle de droit et, partant de là, la protection de nos libertés fondamenta­les. J’estime qu’une grave erreur serait de présumer de la pérennité de notre démocratie au risque de la voir diminuer de façon insidieuse par notre manque de vigilance.

Votre devoir est d’interpréte­r la loi selon certains principes juridiques. Sans doute certains vous tiennent particuliè­rement à coeur…

Dans le cadre de mes fonctions d’interpréta­tion et d’applicatio­n de la loi, j’estime que l’un des plus importants principes juridiques qui distingue la société canadienne des autres sociétés dans le monde est l’égalité des genres garantie par la Charte canadienne des droits et libertés qui doit continuell­ement marquer les décisions du juge.

À la Cour supérieure du Québec, vous aviez le souci de rédiger votre jugement dans la langue de la partie perdante. Quelle préoccupat­ion centrale de votre part faut-il lire dans ce choix délibéré?

À la Cour supérieure du Québec, je rédigeais mon jugement dans la langue de la partie qui perdait sa cause dans le souci de m’assurer que cette partie comprenait bien les raisons pour lesquelles elle n’avait pas eu de succès à la cour. Il s’agissait d’une question de politesse, mais également d’une façon de m’assurer que même les parties qui échouent devant les tribunaux continuent d’avoir foi dans le système de justice. Ainsi, il m’est arrivé à plusieurs reprises tant en matière civile qu’en matière criminelle que la partie qui avait perdu sa cause remerciait le tribunal pour la façon avec laquelle elle avait été considérée.

Juge de la Cour suprême, vous vous faites un point d’honneur de relire minutieuse­ment la version traduite de vos jugements. Une volonté instruite par l’expérience, sans doute…

À la Cour suprême du Canada, toutes les auditions de même que toutes nos décisions sont rendues dans les deux langues officielle­s du pays. J’estime que cet aspect fondamenta­l du fonctionne­ment de notre pays doit être soutenu avec vigueur et c’est la raison pour laquelle je me fais un point d’honneur de m’assurer que mes motifs soient convenable­ment traduits dans les deux langues officielle­s avec la même intensité qui marque sa rédaction d’origine.

Quelles sont vos sources de motivation pour imaginer exercer vos hautes responsabi­lités possibleme­nt jusqu’à l’âge de 75 ans?

Évidemment, la fonction de juge à la Cour est exigeante et je tente dans la mesure du possible de profiter des moments de répit en pratiquant mes sports préférés tels que le golf, le vélo, la course à pied en été et le ski de fond et alpin en hiver. J’estime que je suis extrêmemen­t privilégié de pouvoir occuper mes fonctions à la Cour et d’avoir l’unique chance d’assurer un impact positif pour mes concitoyen­s et surtout pour les génération­s montantes. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je me plais à penser à mes petits-enfants lorsque je dois décider de questions qui auront un impact sur leur avenir dans plusieurs années. Voilà sûrement une de mes plus grandes sources de motivation!

Il serait très intéressan­t de connaître les réflexions que vous inspirent les jugements rendus par la Cour suprême du Canada sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés…

Vous comprendre­z qu’il serait plutôt délicat de ma part de vous transmettr­e mes réflexions sur ce que m’inspirent les jugements de notre Cour sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, je peux témoigner de ma grande satisfacti­on du souci dont a fait preuve la Cour suprême du Canada depuis l’adoption de la Charte afin d’apporter une impulsion déterminan­te à cet article, dont la raison d’être est d’assurer la protection des langues officielle­s au Canada et l’appui essentiel au développem­ent et à la pérennité des minorités francophon­es partout au pays. Il appartient à tous les intéressés de continuer à faire preuve de vigilance.

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