Acadie Nouvelle

DIFFÉRENT, MAIS LIBRE

- robert.lagace@acadienouv­elle.com @RobLagace

Été 1986, dans la forêt pointe-vertoise, sur les lieux mêmes où sera aménagé quelques années plus tard le parc Atlas. Depuis quelques semaines, Allan Lagacé y trottine du mieux qu’il peut, un pied devant l’autre, à l’insu des regards. Le camouflage des arbres lui permet d’exprimer en toute liberté son obsession maladive de bouger, tout en évitant les oeillades d’autrui sur sa différence. Caché, mais libre.

Ceux et celles qui ont déjà croisé Allan Lagacé savent qu’il se déplace différemme­nt du commun des mortels.

Né prématurém­ent, il a hérité d’une paralysie cérébrale qui a eu pour effet d’affecter ses jambes. Pour faire simple, il marche les genoux par en-dedans. Ce qui n’est pas évident quand on découvre assez jeune qu’on est fou de sport.

Quand même ironique qu’il soit né le 1er janvier 1968, 105 ans jour pour jour après Pierre de Coubertin, celui à qui l’on doit la devise «Le plus important n’est pas de gagner mais de participer».

Sauf qu’à l’adolescenc­e, les paroles du rénovateur des Jeux olympiques lui passait bien au-dessus de la tête. Lui, il occupait plutôt son temps à apprivoise­r sa différence vis-à-vis du regard des autres.

Puis, alors qu’il se remet d’un accident de chasse – un ami l’a blessé accidentel­lement par balle à une jambe -, le hasard a voulu qu’il soit assis devant le téléviseur et qu’on y passe un reportage sur le marathon.

«Ça m’a allumé. Je me suis dit que c’était peut-être quelque chose que je pourrais faire. Le problème, c’est que l’idée de courir sur le trottoir me gênait terribleme­nt. J’ai donc choisi d’aller dans le bois pour que personne ne me voit», raconte-t-il.

Au début, il court les quatre kilomètres du vieux chemin des concession­s pour revenir en marchant. À la longue, selon l’humeur de ses jambes, il fait régulièrem­ent le trajet d’un bout à l’autre à la course.

Seuls ses parents, Ludger et Florence, ses six frères et soeurs, Daniel, Wayne, Linda, Charles, Sandra et Marc, ainsi que ses deux meilleurs amis de l’époque, André Parent et Daniel Guitard, sont dans le secret.

Le rituel, qui a lieu aux deux jours, se poursuivra jusqu’en 1992, année où son père finira par le convaincre qu’il est temps de laisser le sportif qu’il est devenu s’afficher en public.

Ceci dit, il a adoré la course dès la première fois. Un coup de foudre instantané qui ne l’a plus jamais quitté.

«Ça me fait tellement du bien, affirmet-il. Encore aujourd’hui, quand je termine une course, j’ai exactement le même feeling que la première fois. Un feeling extraordin­aire.»

«Tu peux pas savoir comment j’adore ça. C’est une passion. C’est pire qu’une brosse d’alcool», lance-t-il avec humour.

Malgré son insécurité de l’époque, il a pourtant tenté le coup une première fois, quelques semaines seulement après avoir commencé à courir dans la forêt. Encouragé par son père, il s’est présenté sur la ligne de départ d’un 5 km présenté à Petit-Rocher. Il avait 18 ans. Il se souvient même encore très bien du numéro de son dossard... le 200.

«J’ai aimé ça, mais je manquais tellement de confiance que j’ai préféré m’en retourner dans le bois. Ça m’a pris six ans à en sortir», confesse-t-il.

En 1992, alors âgé de 24 ans, un triathlon est organisé au parc Atlas, nouvelleme­nt construit. Il est d’autant plus intéressé qu’il connaît le secteur comme le fond de ses poches. En fait, ce triathlon, c’est un peu comme si les autres venaient le rejoindre dans sa cachette.

Il s’inscrit dans la catégorie par équipe. Étrangemen­t, comme cycliste. Yves LeBlanc et Tania Morris se sont respective­ment occupés de la course et de la nage.

«Nous n’avons pas gagné, mais nous avions eu du plaisir en maudit par exemple», mentionne-t-il avec un large sourire.

À défaut de gagner, ce triathlon lui a donné une sacré dose de confiance. Tellement qu’il ne s’est plus jamais caché pour courir. Mieux encore, le solitaire n’était plus.

À partir de ce jour, il s’est mis à carburer aux nouvelles rencontres. Même que ses amitiés se chiffrent aujourd’hui par centaines. Ils sont plusieurs à le trouver inspirant. La preuve que le leadership peut s’apprendre.

Aujourd’hui, il s’en veut d’avoir attendu aussi longtemps. Il s’en veut surtout d’avoir cru qu’il était libre en compagnie des conifères, des érables et des bouleaux. Au contraire, il était prisonnier de son manque de confiance. Des qu’en dira-t-on.

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 ??  ?? Allan Lagacé a réalisé le rêve d’une vie en 2016, quand il a franchi la ligne d’arrivée du Marathon de Boston après une course de huit heures et 15 minutes. - Archives
Allan Lagacé a réalisé le rêve d’une vie en 2016, quand il a franchi la ligne d’arrivée du Marathon de Boston après une course de huit heures et 15 minutes. - Archives
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