Pour les économistes, le consommateur est inconscient
Les humains sont des créatures assez compliquées - mais cela ne paraît pas toujours dans l’influent champ d’études qu’est l’économie. La Presse canadienne
Les modèles économiques qui reposent sur des idées voulant que nous soyons dépourvus d’émotions ont cependant cédé la place, ces dernières décennies, à une vision plus nuancée de nos tics et de nos imperfections, ce qui a popularisé les études économiques comportementales.
Richard Thaler, un pionnier de ce champ d’expertise qui a remporté cette année le prix Nobel de l’économie pour ses travaux, a affirmé, dans son discours d’acceptation, que ses études s’étaient intéressées à la façon d’introduire les humains dans la théorie économique en tant qu’éléments faillibles, inconscients et procrastinateurs, en plus d’être réputés pour leur excès de confiance.
La Presse canadienne a rencontré certains des économistes canadiens les plus célèbres pour leur demander quelles étaient les plus importantes ruptures entre la pensée rationnelle de l’économie traditionnelle et le monde dans lequel nous vivons vraiment.
TROP PEU DE TEMPS, TROP PEU DE VALEUR
Jim Stanford, un ancien économiste pour le syndicat Unifor et l’auteur de Petit cours d’autodéfense en économie: L’abc du capitalisme, croit qu’une des erreurs les plus fréquentes est de ne pas accorder assez de valeur au temps.
«Les gens sous-évaluent leur propre temps, en présument que le temps n’a pas de valeur visible qui lui est directement rattachée... Mais évidemment, plus nous vieillissons, plus nous réalisons que le temps est la chose la plus précieuse qui soit.»
Cette faiblesse intervient dans tout - que ce soit dans la volonté de marcher de plus grandes distances pour payer moins cher de stationnement, jusqu’à l’omission du temps accordé à l’assemblage d’un meuble Ikea.
Et lorsque les gens n’accordent pas une valeur assez élevée au temps, cela permet aux entreprises et aux gouvernements d’en prendre davantage, gratuitement, que ce soit en attendant une réponse au téléphone, en travaillant des heures supplémentaires sans être payé, ou en augmentant le temps d’attente pour obtenir du travail dans une économie de petits boulots, ajoute-t-il.
«Le fait que le temps semble être gratuit entraîne de réelles inefficacités dans la façon dont nous organisons les choses dans l’économie.»
LA PEUR DE RATER QUELQUE CHOSE
Doug Porter, économiste en chef de la Banque de Montréal, dit avoir été frappé par la façon dont les gens portent une grande attention à l’épargne de quelques dollars et cents sur de petits achats, mais sont prêts à faire augmenter le prix de leur offre d’achat d’une maison de dizaines de milliers de dollars pour pouvoir entrer sur le marché.
Selon lui, la «peur de rater quelque chose» explique en partie la performance du marché immobilier torontois cette année, malgré les inquiétudes croissantes visà-vis de l’existence d’une bulle.
M. Porter croit que certains changements peuvent intervenir au niveau des données fondamentales du marché - et il est souvent difficile de savoir qu’on se trouve dans une bulle lorsqu’on est au beau milieu d’une bulle -, mais les gens devraient faire preuve de prudence lorsqu’ils entrent dans un marché qui semble connaître une croissance seulement à cause de la spéculation.
«Il faut être prudent lorsque les gens achètent parce qu’ils croient que les prix ne peuvent aller que dans une seule direction. Ils achètent simplement parce que les prix grimpent, et non parce que les choses ont fondamentalement changé.»
L’ENNUI ET LES MAUVAISES DÉCISIONS
Craig Alexander, l’économiste en chef du Conference Board du Canada, est frustré par le fait que les gens passent beaucoup plus de temps à faire des recherches pour de petits achats de consommation, comme des téléviseurs, plutôt que pour des décisions financières bien plus importantes.
Il observe le même comportement dans les décisions liées aux épargnes réservées pour la retraite, l’achat d’assurance et d’autres décisions économiques qui peuvent être intimidantes (et possiblement assez ennuyantes).
«Certaines personnes sont effrayées par la finance. Elles ne comprennent pas le langage, elles sont inconfortables avec le langage, alors elles l’évitent. Et c’est une tendance naturelle, mais cela peut faire en sorte que les gens prennent de mauvaises décisions.»
Les études économiques comportementales ont aidé, en «poussant» les gens à prendre de meilleures décisions, comme en les inscrivant automatiquement dans des régimes de pensions, mais sans les priver de la possibilité de s’en désinscrire pour choisir librement autre chose.