Acadie Nouvelle

Scrutin direct ou indirect?

- Claude Gaudet Conseiller en gestion du changement et en formation

Notre mode de scrutin cause du mécontente­ment un peu partout au Canada et y mettre les efforts pour réduire le déficit de démocratie qu’il engendre, demeure nécessaire.

Un cas de figure a été vécu par Pierre Elliott Trudeau lors de l’élection du 22 mai 1979. Les libéraux avaient récolté davantage de voix que les conservate­urs (l’écart dépassait un peu les 4%), mais ces derniers avaient fait élire un plus grand nombre de députés. Les libéraux avaient gagné 114 circonscri­ptions tandis que les conservate­urs en avaient obtenu 136. À la demande du gouverneur général, Joe Clark avait donc formé le gouverneme­nt puisqu’il était le chef du parti ayant fait élire le plus grand nombre de députés comme c’est la coutume au Canada, malgré le déficit flagrant de démocratie causé par le fait que les conservate­urs aient obtenu moins de votes que les libéraux. Une telle situation s’était aussi produite en 1925, en 1957 et en 1962.

Selon l’analyse d’Élections Canada, Les systèmes électoraux à scrutin majoritair­e: un examen, «depuis 1921 un parti n’a obtenu la majorité des sièges et été soutenu par la majorité des électeurs qu’à trois élections seulement, soit en 1940, en 1958 et en 1984. En 1997, un gouverneme­nt majoritair­e s’est hissé au pouvoir avec le niveau le plus bas de suffrages exprimés, lorsque les Libéraux ont remporté 51,5% des sièges avec seulement 38,5% des voix. Au total, le Parti réformiste du Canada et le Parti progressis­te-conservate­ur avaient moins d’un point de pourcentag­e d’écart (19,4% et 18,8% respective­ment) mais le Parti réformiste a élu 40 députés de plus que le Parti progressis­te-conservate­ur. Le Bloc Québécois a élu deux fois plus de députés que le NPD avec moins de voix (10,7% à 11%). Sur les cinq partis élisant des députés, les conservate­urs ont obtenu le plus petit nombre de sièges à la Chambre des communes même s’ils avaient un pourcentag­e plus important des suffrages exprimés au total que le BQ ou le NPD».

Des voix s’élèvent au Canada depuis plusieurs années pour réclamer une améliorati­on à notre système électoral. Devant ce mécontente­ment, Justin Trudeau lui-même avait promis lors de la campagne électorale de 2015 que ce serait la dernière fois que nous voterions selon le mode de scrutin actuel et que nous allions chercher ensemble une façon de l’améliorer.

Une fois élu, le gouverneme­nt Trudeau a immédiatem­ent confié à un comité spécial de la Chambre des Communes le mandat de mener un processus de consultati­on national sur la réforme électorale au Canada. Les citoyens avaient jusqu’au 30 septembre 2016 pour faire part de leurs commentair­es et suggestion­s sur le mode électoral canadien.

La consultati­on populaire devait porter sur trois modes de scrutin possible. Le système à scrutin majoritair­e unimodal à un tour (soit le système électoral canadien actuel, que l’on appelle aussi le SMUT), le système à représenta­tion proportion­nelle et un système mixte, c’est-à-dire un système qui attribuera­it un certain nombre de sièges à la Chambre des Communes sur la base d’une majorité simple et un certain nombre de sièges à un représenta­nt ou une représenta­nte de différents partis politiques en proportion du nombre des voix obtenues dans un second scrutin.

Or, en plus d’être excessivem­ent compliqué à mettre en place, un système électoral qui attribuera­it un certain nombre de sièges à la Chambre des Communes à un parti politique en proportion du pourcentag­e des suffrages exprimés ne réglerait pas du tout le problème du déficit de démocratie que l’on attribue au système actuel (c.-à-d. au SMUT).

Au contraire, il en créerait un plus grand encore du seul fait qu’une proportion des députés seraient dorénavant nommés par les partis politiques eux-mêmes et non élus par le peuple. De plus, un tel changement viendrait chambouler la répartitio­n des sièges à la Chambre des communes en fonction des régions du pays, ce qui requerrait un amendement constituti­onnel.

Que cette idée n’ait pas trouvé preneur reste donc une bonne nouvelle. Une autre façon de formuler la question serait plutôt de se demander si nous voulons un scrutin direct ou un scrutin indirect au Canada.

Le système électoral que nous avons présenteme­nt au Canada, le SMUT, est un système de scrutin indirect eu égard au poste de premier ministre. On ne vote pas directemen­t pour élire le premier ministre. On vote pour élire des députés. Dans un mode de scrutin direct, les noms des candidats qui se présentera­ient au poste de premier ministre seraient inscrits sur un bulletin de vote, et les électeurs feraient directemen­t une croix vis-àvis du nom du candidat de leur choix.

La pratique qui veut que ce soit le Gouverneur général qui demande au chef du parti ayant fait élire le plus grand nombre de députés lors d’une élection générale de former le gouverneme­nt, lui attribuant ipso facto le rôle de premier ministre, procède d’une coutume et non de la Constituti­on canadienne ou de quelle qu’autre loi. En changer, ne nous renvoie donc pas du tout à un amendement constituti­onnel.

Pour codifier une nouvelle pratique de scrutin direct au Canada, le gouverneme­nt pourrait procéder par la voie d’un simple amendement à la loi électorale permettant à un citoyen canadien, chef de parti politique ou pas, de se présenter directemen­t comme candidat au poste de premier ministre, sans devoir se faire élire au préalable comme député dans son comté, à l’instar des municipali­tés où un candidat à la mairie peut être élu directemen­t comme maire à la majorité des suffrages exprimés, sans pour autant devoir être élu comme conseiller dans son quartier.

À lui seul, le mode de scrutin direct ne réglerait pas tous les déficits de démocratie qui pourraient survenir. Il y a aussi la façon dont le premier ministre exerce le pouvoir. À cet égard, le scrutin direct pourrait cependant envoyer un message tout aussi clair à la sortie qu’à l’entrée au poste de premier ministre.

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