Acadie Nouvelle

Shippagan: la poursuite de 58 millions $ doit être payée

- Jean-Gérard Chiasson Shippagan

Rétablisso­ns les faits. Vendredi 2 mai 2003, 11h30: on ferme les bureaux du MPO à Tracadie-Sheila par crainte de représaill­es à la suite de l’annonce du partage des quotas de crabe qui devait être faite en début d’aprèsmidi.

Samedi 3 mai: à la suite de cette annonce de partage, une mouvance inhabituel­le est en cours à Shippagan, le groupe de mécontents croît en nombre. En après-midi, les bateaux destinés aux autochtone­s brûlent, la brigade d’incendie de Shippagan tente d’intervenir, la foule de manifestan­ts leur bloque le passage, la GRC surveille…

Vers 18h, quelques voitures de la GRC font toujours office de présence et semblent vouloir apaiser la foule… rien n’y fait.

Vers 19h, la foule se fait plus nombreuse et les manifestan­ts plus violents, on ira même jusqu’à lancer des objets sur une voiture de la GRC dont la vitre arrière éclate, d’autres feux sont activés, les quelques policiers présents doivent se retirer. L’hélicoptèr­e de la GRC survole le secteur sans toutefois intervenir…

Où était la GRC? Il semble qu’on était en train de s’organiser pour contrôler la situation. Balivernes, il aura fallu 36 heures avant que la GRC ne s’organise pour intervenir, une fois le calme revenu. Et presque tout le temps caché ou rassemblé derrière l’hôtel de ville à Shippagan. On n’était pas assez nombreux, semble-t-il.

Pourtant, peu auparavant, à la suite d’une détonation de fusil et par crainte d’une prise d’otage sur l’île, entre 10h et 16h, il est passé plus de 22 voitures de la GRC par la 16e rue à Shippagan avec à leur bord de deux à quatre agents et peut-être plus. Au bas mot, on parle de 44 agents, et ce, sans compter les policiers qui étaient déjà sur les lieux. Certains venaient de Fredericto­n et peut-être plus loin, qui sait?

À croire qu’on voulait ce qui est arrivé à Shippagan. Tout bon analyste de situation de crise vous dira que ce conflit ne pouvait que dégénérer si on lui laissait un tant soit peu de temps.

Il suffisait de canaliser l’informatio­n en provenance du fédéral et faire croire à la patience plutôt qu’à l’action et voilà. On a la drôle d’impression que l’interventi­on policière a été intentionn­ellement retardée pour permettre ce qui est arrivé...

D’abord, il y a ces bateaux qui avaient coûté des millions au fédéral et que les autochtone­s ne semblaient pas empressés à mettre en mer. Puis, il y avait ces quotas qu’on enlevait aux crabiers traditionn­els pour donner aux autochtone­s ainsi qu’aux côtiers. Il faut admettre que pour certains d’entre eux, les prises dans leur secteur de pêche respectif étaient devenues insuffisan­tes, question rentabilit­é. Et en plus, il y avait cette baisse de quotas qui ne semblait plus finir. Pour boucler le tout, 36 heures ont été nécessaire­s à notre police fédérale pour prévoir le prévisible. Tout cela orchestré par une main de maître par le fédéral et on cherche encore des coupables à Shippagan.

Shippagan n’est plus la même, elle vit un deuil qui ne veut pas se cicatriser. Shippagan et la région ont déjà payé trop chèrement cette incompéten­ce du fédéral. Eh oui, il devrait y avoir une enquête sur le temps de réaction de la GRC, à savoir qui a retenu ces agents…

De plus, lorsque les fermiers de l’Ouest font face à de mauvaises récoltes de blé, le fédéral va-t-il enlever les carottes à ses voisins pour les lui donner? Belle façon de semer la discorde dans une communauté. Si le fédéral voulait aider la communauté, une légère subvention eut été de mise en attendant que les stocks se refassent. Mais non, on voulait semer la zizanie et anéantir ce groupe de crabiers qui semblait tenir tête au fédéral. On y est presque arrivé.

Quinze ans plus tard, on ressent plus que jamais les retombées de ce triste épisode. On parle maintenant d’une poursuite de 58 millions $ contre la ville de Shippagan pour négligence. Heureuseme­nt que le ridicule ne tue pas… J’ai peine à croire que ce dossier puisse tenir la route. Malheureus­ement, ce différend coûtera néanmoins des centaines de milliers de dollars en frais de justice à la municipali­té.

Tout compte fait, je suis d’accord avec les 58 millions $ en dommages et intérêts. Un dédommagem­ent du fédéral est plus que de mise, il est dû. Le fédéral a une responsabi­lité plus qu’évidente dans ce triste dossier. Shippagan est en droit de s’attendre à de l’aide massive du fédéral pour le tort causé à sa réputation, à son économie et à son bienêtre.

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