Acadie Nouvelle

45 MINUTES DE TERREUR DANS UNE ÉCOLE

- Brett Bundale La Presse canadienne

C’est l’heure du déjeuner dans l’école primaire du village bucolique de Sainte-Anne-de-Kent. Les enfants rigolent dans la cour de récréation.

Mais l’enchanteme­nt de cette chaude journée d’automne de septembre 2017 est rompu lorsqu’un homme, qui conduit de manière erratique, débarque à l’école et menace de tuer la directrice et les élèves.

Les enfants sont rapidement confinés dans des salles de classe où ils restent enfermés pendant 45 terrifiant­es minutes: les plus jeunes jouent à cache-cache sous le bureau de leur enseignant, les plus âgés prient et demandent s’ils vont mourir, pendant que la directrice, pétrifiée, craint pour le pire dans un local barré au sous-sol.

Jeudi, Mathieu Carroll, âgé de 36 ans, recevra sa peine dans une salle d’audience à Moncton pour avoir foncé avec sa voiture dans la porte d’entrée de l’école Calixte-F.Savoie, un incident qui a brisé l’innocence de nombreux enfants de cette école rurale.

Caroll a plaidé coupable le mois dernier à de multiples accusation­s, y compris d’avoir proféré des menaces de mort et d’avoir causé plus de 5000$ de dommages à l’école.

Les avocats ont fait une recommanda­tion conjointe d’une peine de 12 mois de prison, mais les enseignant­s et les parents affirment que beaucoup de jeunes élèves seront submergés de cauchemars, d’anxiété et de stress pour les années à venir.

«Avec le temps déjà écoulé, il pourrait être libéré dans quelques mois. Nous allons tous regarder par-dessus nos épaules», a déclaré la directrice de l’école, Chantal DesRoches, dans une interview. «Ça me hante. J’ai des

flashbacks tous les jours.»

UN MATIN COMME LES AUTRES

La matinée du mardi 19 septembre 2017 a commencé comme toutes les autres. Les parents ont embrassé leurs enfants en les quittant à l’école, qui accueille les élèves de la maternelle à la 8e année, sur la route 505, à environ 60 km au nord de Moncton.

Mais une jeune mère est soudaineme­nt arrivée en pleurs et en détresse. Elle a demandé à parler à l’enseignant­e de maternelle de sa fille et à la directrice, et leur a raconté sa vie difficile à la maison, où elle se sent constammen­t en danger.

La directrice a appelé un refuge local pour femmes violentées et la GRC. La mère a dit qu’elle retournera­it chez-elle et qu’elle dirait à son petit ami qu’elle allait déménager.

Mais Mme DesRoches, officielle­ment en poste depuis seulement quelques semaines, mentionne qu’elle a eu le sentiment que la situation pourrait rapidement dégénérer.

Quand la cloche a sonné à l’heure du diner, elle a décidé de sortir et d’aider à superviser les enfants dans la cour de récréation.

«Je travaille habituelle­ment pendant mon heure de diner pour faire avancer des dossiers, mais j’ai eu l’étrange sensation que quelque chose pourrait arriver», mentionne Mme DesRoches. «Je devais protéger les enfants.»

Quelques minutes plus tard, elle a entendu le grincement des pneus de la voiture de Carroll, qui arrivait à toute vitesse dans le stationnem­ent de l’école tout en proférant des menaces.

«J’ai commencé à faire entrer rapidement les enfants à l’intérieur et comme ils n’avançaient pas assez vite, j’ai commencé à crier. Mais ils ne comprenaie­nt pas ce qui se passait. Ils ont dit: ‘’Mais Madame, il n’est pas 13 heures encore’’.»

Elle a informé les enseignant­s qu’elle mettait l’école en confinemen­t et a aidé les enfants à entrer dans les classes. Quand elle a couru vers son bureau pour appeler le 911, Carroll se tenait devant elle, ayant brisé une porte en métal verrouillé­e pour entrer dans l’école.

«Il a dit: ‘‘Tu ne vas pas expulser ma putain de fille de l’école’’, se souvient Mme DesRoches, notant que sa conjointe lui avait donné de fausses informatio­ns parce qu’elle craignait pour sa sécurité. Il a dit: Je vais te tuer et je vais tuer les élèves.»

DES ANGES

Par chance, les concierges de l’école sont arrivés tôt ce jour-là et un réparateur - qui avait entendu les préoccupat­ions de la directrice le matin - s’est pointé à l’école après le diner pour s’assurer que tout se passait bien.

Ces hommes ont rapidement reconduit Carroll à l’extérieur.

«Nous avions des anges ce jour-là», affirme Mme DesRoches. «Les trois hommes qui étaient là ne sont jamais là à ce moment de la journée normalemen­t.»

Alors qu’elle composait le 911, elle entendit une forte explosion. Carroll venait d’écraser sa voiture contre la façade de l’école, manquant de justesse un concierge.

«Je me suis dit qu’il allait revenir et tous nous tuer. Les policiers m’ont dit qu’ils étaient en route, alors nous nous sommes précipités dans un local du sous-sol fermé à clé.»

À un moment donné, quand elle pensait qu’il était parti, Mme DesRoches a quitté le sous-sol pour aller s’assurer de la sécurité de ses élèves, mais un concierge a crié qu’il revenait.

Barricadée dans le sous-sol et craignant le pire, elle a l’impression que le temps est arrêté.

«J’étais enfermée dans le sous-sol. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Je n’avais aucune idée si quelqu’un avait été blessé.»

Pendant ce temps, les enseignant­s ont dit aux plus jeunes élèves que tout ça n’était qu’un jeu de cache-cache. Ils ont dit aux enfants de se cacher sous les bureaux des enseignant­s et que les élèves les plus calmes allaient gagner des prix.

Mais les élèves plus âgés, conscients du danger imminent, ont reçu l’ordre d’écrire ou de dessiner pour les aider à rester calmes. Beaucoup ont écrit des prières et dessiné des croix, un signe des racines chrétienne­s de cette communauté soudée.

Les enseignant­s ont tout fait pour calmer leur peur.

«J’avais une enseignant­e qui pensait que c’était la fin, mentionne Mme DesRoches. Elle ne pensait pas qu’elle en sortait vivante.»

La police est arrivée peu après 13h30, appréhenda­nt Carroll, qui a tenté de s’échapper avant de heurter une autopatrou­ille.

L’accusé a subi une évaluation psychiatri­que de 30 jours au centre hospitalie­r Restigouch­e et les tests ont révélé qu’il avait consommé de la méthamphét­amine.

«Quand un policier m’a dit qu’ils avaient réussi à l’attraper, je ne le croyais pas. Je continuais à leur demander s’ils étaient sûrs, s’ils vérifiaien­t partout.»

Mme DesRoches a levé l’avis de confinemen­t et a réuni tous les élèves dans le gymnase pendant que les parents étaient appelés.

«Les enfants pleuraient, ils criaient, ils avaient peur. Ils étaient cachés sous des bureaux depuis 45 minutes. Certains d’entre eux ont entendu le bruit de l’impact de la voiture et les cris de l’homme.»

«On a dit aux parents que personne n’avait été blessé. Beaucoup étaient terrifiés quand ils ont vu toutes les voitures de police entourant l’école, l’ambulance et une porte d’entrée fracassée.»

«Je pensais qu’il arriverait pour finir le travail. Nous sommes retournés en bas...»

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Les dégâts ont été rapidement réparés à l’entrée de l’école Calixte-F.-Savoie. À la une, la directrice de l’école, Chantal Desroches. - Archives

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