Acadie Nouvelle

L’ANGOISSE DU «TROU NOIR»

- vincent.pichard@acadienouv­elle.com

Depuis des semaines, ils haussent la voix pour se faire entendre et ne sont pas prêts à se taire. Les sans-emploi menacés par le trou noir s’inquiètent. Que deviennent-ils après leurs coups d’éclat? Comment vivent-ils au jour le jour? Ils répondent.

Son mécontente­ment transparaî­t dans chacune de ses réponses. Traits tirés, notre interlocut­rice n’a pas la mine des bons jours. Même ses vêtements usés traduisent son malaise.

En fin d’entrevue, elle s’inquiète que son nom apparaisse dans le journal. Elle veut témoigner, mais craint des répercussi­ons.

«Je ne voudrais pas que pour une raison quelconque, on me supprime mon chômage», s’imagine-t-elle.

Nous convenons d’un nom d’emprunt: Noëlla Thériault, de la région de Tracadie, est travailleu­se occasionne­lle, présenteme­nt sans emploi. Cela fait 40 ans qu’elle travaille dans les usines de transforma­tion du poisson. Au moment de la saison de pêche au crabe, elle manipule les carcasses de crustacés sept jours sur sept.

«C’est intense. À 65 ans, c’est très fatigant. Ça me donne des semaines de 60 à 80 heures. À la fin de mes journées, j’ai mal au dos et j’ai les mains gelées», raconte-t-elle.

Pendant ce temps-ci de l’année, Noëlla Thériault ne ménage pas ses efforts. Son objectif: cumuler le maximum d’heures, ce qui déterminer­a sa durée d’indemnisat­ion auprès de l’assurance-emploi.

«Tous les ans, je dépose mon dossier fin juin. En 2016 et en 2017, j’avais à peu près le même nombre d’heures: un peu plus de 1100 heures. En 2016, ça m’a donné 39 semaines assurables. En 2017, avec leur nouveau système, je n’en ai plus que 36. Ce n’est pas rien trois semaines dans mon cas», peste-t-elle.

Pour Noëlla, le trou noir - cette période entre la fin de ses prestation­s d’assurancee­mploi et le début de la saison où elle travaille - devient soudaineme­nt plus creux.

Comment vit-elle au quotidien? Chaque quinzaine, elle reçoit 904$. Pas assez pour mener la grande vie. de l’assurance-emploi. Tout comme la résidente de Tracadie, elle s’estime lésée. Elle aussi refuse de dévoiler publiqueme­nt sa véritable identité. Pendant deux ans, elle a été préposée aux soins.

«J’avais fait des études pour. J’étais contente quand j’ai commencé. C’est ce que je voulais faire.» Elle a vite déchanté. «J’étais embauchée par deux compagnies. À un moment, je devais aller dans quatre places, faire Rivière-du-Portage, Saint-Isidore, Sainte-Irénée et Tracadie dans la même journée. J’n’avais pas le temps de dîner. Les conditions de travail étaient difficiles. Et même en faisant tous ces sacrifices, j’avais un petit salaire.» En 2017, elle a perdu tous ses clients. «Ils sont morts chacun leur tour. On ne m’en a pas donné d’autres.»

Depuis, elle enchaîne les petits boulots pour joindre les deux bouts. Elle aimerait travailler à temps plein, avoir un poste fixe, synonyme de stabilité et de sécurité de l’emploi.

«Oui y en a de la job, mais que des contrats à 15 ou 18 heures par semaine, s’emporte-t-elle. Ça vous fait 500$ par mois. Qui peut avoir une famille et une maison avec ça?»

Ce sont les intérêts de Noëlla, Lise et de toutes celles et de tous ceux qui sont dans la même situation qu’elles que le Comité d’action des travailleu­rs saisonnier­s de la Péninsule acadienne a à coeur de défendre.

Ces dernières semaines, l’associatio­n a multiplié les actions pour se faire entendre: discours musclés lors de réunions publiques à Inkerman, manifestat­ions à Tracadie…

Son but: mettre la pression sur les élus pour contrecarr­er les effets du trou noir. Compte tenu des récents changement­s de l’assurance emploi, certains chômeurs risquent de se retrouver sans indemnités sous peu.

«Si rien ne bouge, des gens vont perdre de l’argent, alors qu’ils ont payé pour leur assurance-emploi», met en garde Fernand Thibodeau, le porte-parole du comité.

Lui et les membres sont déterminés à obtenir gain de cause.

«Je ne peux pas payer toutes mes factures. Je prends les premiers prix à l’épicerie. Je ne fais pas les boutiques pour m’acheter du beau linge», liste-t-elle. Lise Godin aussi se plaint du fonctionne­ment

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 ??  ?? Noëlla Thériault, de son nom fictif, travaille jusqu’à 80 heures par semaine dans une usine de transforma­tion de crabe. Archives
Noëlla Thériault, de son nom fictif, travaille jusqu’à 80 heures par semaine dans une usine de transforma­tion de crabe. Archives
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