Des Jeux sans l’idéal olympique
Il est bien difficile de faire preuve d’enthousiasme à l’approche des Jeux olympiques, qui s’ouvriront vendredi à Pyeongchang, en Corée du Sud. Et pas seulement parce qu’on n’y retrouvera aucun athlète acadien.
Nous pouvons déjà vous l’annoncer en primeur et en exclusivité, les Jeux de Pyeongchang seront un grand succès. Les exploits des athlètes prendront rapidement le dessus sur toutes les controverses qui ont plombé l’événement dans les derniers mois.
Pas besoin de reculer bien loin dans le passé pour s’en convaincre. Souvenez-vous de Vancouver 2010.
L’absence de neige avait forcé les organisateurs à transporter par camions la précieuse matière sur les lieux de certaines épreuves. Un lugeur de Georgie a perdu la vie lors d’une séance d’entraînement. Une série de ratés (le bris de trois surfaceuses, le bras devant allumer le flambeau qui ne s’était pas levé, la place très limitée du français lors des cérémonies d’ouverture…) avait poussé la presse britannique à déclarer que les Jeux olympiques de Vancouver étaient en voie de devenir «les pires de l’histoire».
Pourtant, les images qui ont perduré dans l’imaginaire des amateurs de sport sont autrement plus positives: le triomphe de l’équipe canadienne de hockey féminine, le but de Sidney Crosby en prolongation, Alexandre Bilodeau qui célèbre sa médaille d’or avec son frère, la marche de Jon Montgomery dans les rues de Whistler avec un pichet de bière à la main.
Les exploits des athlètes alliés à la redoutable machine médiatique olympique finissent toujours par avoir pour effet de balayer les problèmes sous le tapis.
Néanmoins, l’excitation à l’endroit des exploits de nos athlètes sera cette année teintée d’une bonne dose de scepticisme. La découverte d’un système de dopage d’État en Russie a fait voler en éclats nos espoirs d’enrayer la triche. L’expulsion de dizaines d’athlètes russes a envoyé un message fort et contribué à assainir la concurrence, mais n’a convaincu personne que le problème du dopage est désormais réglé.
Il ne faudrait pas qu’un autre scandale du genre frappe les Jeux. Ceux-ci pourraient avoir de la difficulté à s’en remettre.
Le dopage est un cancer qui ronge l’idéal olympique. Il touche autant des athlètes habitués du podium que ceux qui ne rêvent qu’à être présent. Aucune juridiction n’est à l’abri, y compris le Nouveau-Brunswick.
Souvenez-vous de Serge Després, qui a fait la fierté de Cocagne en terminant 11e et 18e lors de deux compétitions de bobsleigh aux Jeux de Turin en 2006. Il a testé positif aux nandrolones en août 2007 et été condamné à une suspension de 24 mois. Després a toujours affirmé qu’il n’avait fait que consommer à la recommandation de Bobsleigh Canada un supplément alimentaire contenant la substance interdite.
Le dopage, évidemment, a aussi un impact sur les athlètes propres. Le coureur de fond Joël Bourgeois a expliqué dans nos pages, il y a deux ans, qu’il aurait pu participer à de troisièmes Jeux olympiques si ce n’était de l’avantage illégal dont profitaient la plupart de ses adversaires sur la piste.
Nous pouvons même pousser la réflexion encore plus loin. Milaine Thériault, de SaintQuentin, est la seule Acadienne à avoir participé à trois Jeux olympiques d’hiver (1998, 2002 et 2006). Elle excellait dans un sport, le ski de fond, qui est particulièrement gangréné par le dopage. Qui sait de quels exploits elle aurait été capable si ses adversaires avaient suivi les règles?
Vous croyez que tout cela n’est que de l’histoire ancienne? Une enquête conjointe de médias européens a révélé ces derniers jours que près du tiers des médaillés aux Jeux olympiques et aux Championnats du monde depuis 2001 en ski de fond ont présenté des tests sanguins suspects.
Certains de ces fondeurs seront à Pyeongchang au cours des deux prochaines semaines. Ça ne signifie pas qu’ils sont dopés. Mais…
Le plus grand danger pour le mouvement olympique est toutefois le désintérêt de la population s’il n’arrive pas à faire le ménage. Cette menace est bien réelle. Ce n’est pas nous qui le disons, mais plutôt Dick Pound, ancien vice-président de l’Agence mondiale antidopage. «Les athlètes et le grand public n’ont plus confiance que leurs intérêts sont protégés. Notre engagement envers eux est sérieusement mis en doute, a-t-il déclaré cette semaine. Avec respect, je ne pense pas que nous pouvons nous sortir de ce problème.» Voilà qui augure mal. Ces controverses seront temporairement oubliées sitôt que tomberont des records et que seront réalisés les premiers exploits. Mais elles ne disparaîtront pas pour autant.
La plus grande force des Jeux est l’idéal olympique, qui pousse les athlètes à se dépasser et même des nations à faire la trêve, comme on le constate avec la Corée du Nord.
Sans cet idéal aujourd’hui menacé, il ne restera au CIO que des compétitions sportives à promouvoir, sans être en mesure d’en assurer l’intégrité. Voilà qui est pas mal moins inspirant. Et moins vendeur.