«J’AI HONTE DE MA LANGUE»
- ROXANN GUERRETTE
En critiquant la qualité du français parlé en Acadie, l’ancienne présidente de la fédération étudiante de l’Université de Moncton (FÉÉCUM), Roxann Guerrette, a lancé un pavé dans la mare et a suscité bien des réflexions au sujet de l’insécurité linguistique.
La jeune femme originaire de Ste-Anne de Madawaska effectue un stage de six mois à Marseille, en France, dans le cadre de son doctorat en sciences de la vie. Sur sa page Facebook, elle décrit son malaise et sa gêne de parler sa langue maternelle lors de son séjour.
Elle juge son français en décalage avec celui parlé de l’autre côté de l’océan. «J’ai honte de ma langue», écrit Roxann Guerrette.
«Depuis mon arrivée en France, je me demande quel était le but des francophones canadiens de se battre pour conserver leur langue? ON PARLE MAL. Les Québécois n’aiment pas notre accent. C’est difficile pour les Français de nous comprendre. Le français que j’ai appris à l’école est pourri! Ça sert à rien! Si vous n’êtes pas d’avis, faites lumière sur mon ignorance que le français en Acadie c’est une perte de temps!»
Ses propos ont ouvert la voie à un débat passionné qui a rapidement pris de l’ampleur sur le réseau social au cours de la journée. Plusieurs centaines d’internautes ont réagi, les uns saluent son témoignage, tandis que d’autres lui reprochent de dénigrer sa langue et ses origines, parfois avec des mots assez durs.
Que nous dit cette affaire du rapport qu’entretiennent les Acadiens avec leur langue? Isabelle Violette, professeure en sociolinguistique à l’Université de Moncton, n’est pas surprise qu’un débat sur la qualité du français suscite d’aussi vives réactions.
«En Acadie comme dans d’autres lieux minoritaires, la langue est le pilier de l’identité. Dès qu’on fait un commentaire sur la langue, ça se reflète dans l’esprit des gens comme une attaque contre le groupe et son identité. Les Acadiens se définissent essentiellement par le fait de parler un certain français, quand on remet en question la valeur de cette particularité linguistique, c’est comme si on remettait en question la légitimité ou la crédibilité du groupe dans son ensemble. On sent que ça touche une corde sensible.»
Selon Mme Violette, ce débat est symptomatique de la difficulté de la communauté acadienne à définir ses propres normes linguistiques.
«Historiquement, le français a évolué différemment et c’est en France qu’on a établi la norme du bon usage. Plus on s’en éloigne, plus on a un sentiment d’inadéquation avec cette norme. L’Acadie est un plus démunie que le Québec pour déterminer quel est le français standard, le français qui les définit en temps que nation.»
Roxann Guerette exprime ce choc culturel que de nombreux Acadiens vivent lorsqu’ils se confrontent au français dit «standard» et ressentent un écart avec ce modèle de langue considéré supérieur. Notre langue est bien plus qu’un moyen de communication, elle est aussi un marqueur de distinction sociale associé à des jugements de valeur, rappelle Isabelle Violette.
«Quand une personne se fait constamment reprendre, questionnée, qu’on ne la comprend pas, elle développe un sentiment d’inadéquation profond», dit-elle.
«Si Mme Guerette a fait cette sortie publique, c’est peut-être parce qu’elle est confrontée à des réactions qui font qu’elle se sent inadéquate sur le plan linguistique. Parce qu’en Acadie, on a depuis longtemps cette idée que le français outre-Atlantique est meilleur dans son essence, il ne lui vient pas à l’idée de remettre en cause les formes d’usage des Français mais plutôt de penser que les siennes sont moins bonnes.»
Mais d’où vient ce sentiment de honte? Rejeter la manière de parler d’un individu, c’est aussi rejeter ce qu’il est, répond la chercheuse.
«Un commentaire sur la langue est toujours lié à d’autres attributs de la personne. Juger la langue c’est souvent juger de l’intelligence de la personne, son statut social, son niveau de culture... Ça ne s’arrête jamais à la langue. Dire d’une personne qu’elle a un beau discours, qu’elle emploie des grands mots ça suppose des qualités sur le plan intellectuel, culturel. De la même façon, des commentaires dépréciatifs impliquent une dévalorisation qui dépasse la pratique linguistique.»
Mme Guerrette a refusé nos demandes d’entrevue.
«On parle comme des enfants analphabètes en Acadie», ajoute-telle un peu plus tard.