Sociolinguistique: le franglais et le chiac «sauvés par la science»
Presque tous les bilingues au monde mixeraient leurs langues, souvent dans la honte. Mais une nouvelle étude risque de changer la discussion entre les parlants qui mélangent et les puristes qui imputent aux mélanges une érosion de la langue. Pour la sociolinguiste Shana Poplack, de l’Université d’Ottawa, les différences dialectales n’ont rien d’inférieur, quoi que propagent les idées reçues.
«Je suis sociolinguiste, ce qui veut dire que j’étudie la langue telle qu’elle se parle et non la langue qu’on nous dit de parler. Je m’amuse énormément. La langue parlée est extrêmement expressive. Et cette expressivité provient en partie du fait que les gens ont accès non pas à une mais à deux langues. J’espère bien que la langue parlée sera sauvée par la science!»
Les trouvailles de la professeure sont fondées sur «l’analyse quantitative systémique» de millions de mots tirés de 43000 phrases mélangées recueillies au fil de conversations avec 500 bilingues, surtout dans la région d’Ottawa. Le résultat de ses 35 ans de recherche sur 13 paires de langues, surtout nos deux officielles, paraît dans un nouveau livre.
Shana Poplack est mal à l’aise avec les identifiants franglais et chiac. «Ces étiquettes révèlent une vision nocive et dérogatoire de la langue parlée et je ne m’en sers pas. Ce n’est rien d’autre que des mélanges de langues tels qu’on trouve dans toutes les communautés bilingues au monde. Et partout, les bilingues utilisent les mêmes procédés pour mélanger les langues. Il n’y a rien de désordonné. »
La titulaire d’une Chaire de recherche du Canada a constaté une résistance aux emprunts chez les instances normatives. Cette réaction ne reposerait pas sur la science, mais sur l’insécurité. «Il y a toujours ce côté moral dans les écoles, académies et offices de langue française. Ça part de l’idée qu’il y a eu des langues pures, mais rien n’est plus loin de la vérité. »
«Il n’y a jamais eu de langues pures: toutes les langues empruntent du vocabulaire»
La chercheuse affirme que l’emprunt de mots d’une autre langue ne modifie pas le génie ni la structure grammaticale de la première langue. Cette pratique ne serait pas non plus un signe de paresse ou de méconnaissance d’une langue première. Alors pourquoi mélange-t-on les mots?
«Quand on est dans un milieu bilingue, ça devient normal de puiser dans les deux langues. C’est comme doubler les ressources disponibles pour s’exprimer.»