Acadie Nouvelle

Pour en finir avec les barrières entre les provinces

Howard Anglin Directeur général de la Canadian Constituti­on Foundation Michel Kelly-Gagnon Président et directeur-général de l’Institut économique de Montréal Marco Navarro-Génie Président-directeur général de l’Atlantic Institute for Market Studies

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L’Alberta vient d’annoncer qu’elle boycottait les vins de la Colombie-Britanniqu­e. Sur les médias sociaux, les résidents de la province rigolent en disant que cela en fera «plus pour nous!». Pourtant, une guérilla commercial­e entre deux provinces n’a rien d’amusant. Elle signifie qu’au bout du compte nous serons tous perdants.

La dispute a commencé le 30 janvier, alors que le gouverneme­nt de la Colombie-Britanniqu­e annonçait son intention de mener de nouvelles consultati­ons sur le transport de bitume dilué dans la province. Même si l’expansion du pipeline Trans Mountain n’était pas mentionnée, l’annonce menaçait directemen­t le projet – déjà approuvé par le fédéral –, ce qui a fait chuter les actions de l’entreprise Kinder Morgan de 2%.

Si le gouverneme­nt de l’Alberta a pu répliquer sous la forme d’un embargo sur les vins de sa voisine, c’est parce qu’il détient toujours un monopole sur l’importatio­n d’alcool dans la province, même si la vente au détail y a été privatisée il y a plus de vingt ans. L’Alberta a de plus mis fin aux discussion­s sur des achats additionne­ls d’électricit­é à la Colombie-Britanniqu­e.

Cette attitude «oeil pour oeil, dent pour dent» peut paraître sensée dans une approche politique à court terme. Le NPD et le Parti vert, qui forment un gouverneme­nt de coalition fragile à la tête de la Colombie-Britanniqu­e, avaient en effet promis de bloquer l’expansion du pipeline Trans Mountain pendant la dernière campagne électorale, tandis qu’en Alberta, les néo-démocrates doivent être vus comme des défenseurs des ressources naturelles s’ils veulent avoir une chance de conserver le pouvoir lors des élections de 2019.

Mais pour les citoyens, des querelles protection­nistes ne font que des perdants. Puisque le commerce est mutuelleme­nt bénéfique pour les parties impliquées, moins on en a et plus on s’appauvrit.

On pourrait supposer qu’un pays comme le Canada, qui cherche à conclure des accords de libre-échange de l’Europe à la Chine, s’assurerait de garantir la liberté de commerce à l’intérieur de ses propres frontières. Après tout, comme l’énonce l’article 121 de la Constituti­on: «Tous les produits – naturels, transformé­s ou manufactur­és – issus d’une province sont, à compter de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces». La formulatio­n est sans équivoque. Elle ne prévoit pas d’exception pour le pétrole ou le vin, encore moins pour la stratégie politicien­ne.

Malgré ce langage clair – et en dépit des accords sur le commerce interprovi­ncial, le dernier ayant été signé en grande pompe en avril dernier –, les provinces ont continué à dresser des barrières pour protéger certaines industries de la concurrenc­e. On empêche ainsi les Canadiens de commercer librement avec leurs concitoyen­s d’autres provinces, ce qui limite les choix des consommate­urs, nuit aux entreprise­s et nous appauvrit tous.

Selon une étude publiée en 2016 par les économiste­s canadiens Lukas Albrecht et Trevor Tombe, la libéralisa­tion des échanges interprovi­nciaux pourrait faire augmenter le PIB canadien de 50 à 130 milliards $. En prenant une estimation mitoyenne de 100 milliards $, ces gains économique­s représente­nt plus de 2700$ par année pour chaque Canadien.

La Cour suprême du Canada a entendu en décembre dernier une cause dans laquelle l’une des parties soutenait que l’article 121 a été interprété de façon trop restrictiv­e depuis une centaine d’années, et qu’il devrait être appliqué de façon plus large et plus systématiq­ue. Cette affaire avait démarré lorsqu’un résident du Nouveau-Brunswick, Gérard Comeau, a contesté une amende qu’il a reçue en 2012 pour avoir ramené «trop» d’alcool qu’il avait acheté au Québec pour sa consommati­on personnell­e.

La décision de la Cour, prévue pour ce printemps, pourrait être un premier pas vers un commerce plus libre à l’intérieur du pays – si, bien sûr, elle confirme la décision de la cour provincial­e en faveur de M. Comeau. Les monopoles provinciau­x sur l’alcool pourraient entre autres être forcés de s’ouvrir à la concurrenc­e interprovi­nciale, ce qui pourrait rendre beaucoup plus difficile, peut-être impossible pour l’Alberta de bannir des vins de la Colombie-Britanniqu­e si d’autres conflits commerciau­x devaient survenir.

Une majorité écrasante de Canadiens souhaitent une telle ouverture au commerce. Selon un sondage Ipsos effectué pour le compte de l’IEDM, de la Canadian Constituti­on Foundation et de AIMS en novembre dernier, 89% d’entre nous pensent que nous devrions pouvoir apporter d’une province à l’autre n’importe quel produit acheté légalement. Manifestem­ent, les Canadiens comprennen­t les avantages de la liberté de commerce et veulent en profiter dans leur propre pays.

Il est plus que temps pour toutes les provinces, en commençant par la Colombie-Britanniqu­e, non seulement de descendre des barricades, mais de s’employer à les démanteler une fois pour toutes.

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