Plus besoin d’avoir honte!
Alors que l’Acadie se démenait comme un diable dans l’eau bénite pour exorciser son malaise devant les propos que la jeune doctorante brayonne Roxann Guerrette a publié sur sa page Facebook, une affaire médiatique similaire enflammait les réseaux sociaux
Mennel Ibtissem était une jeune candidate prometteuse de «Ze Voice Frônce». Très jolie, très en voix, lors de son audition elle a interprété, en anglais et en arabe, la célèbre ballade Hallelujah de Leonard Cohen. Coiffée d’un joli voile-turban et couverte de fleurs par les quatre membres du jury, elle avait été retenue.
Mais dans les heures qui suivirent ont ressurgi dans les médias sociaux des messages qu’elle avait publiés sur sa page Facebook aux lendemains de l’attentat terroriste de Nice ayant causé plus de 80 morts, en juillet 2016. Et dans ces messages ambigus, elle semblait faire écho à des propos frôlant l’apologie du terrorisme islamiste.
Les médias traditionnels se sont emparés de l’affaire, la candidate déclara forfait et se retira de la course.
Bref: cette affaire Mennel a suscité chez nos arrières-cousins gaulois un déferlement de propos incendiaires sur les réseaux sociaux, dont certains qui frisent le discours haineux, tout comme ici à la suite des propos de Roxann Guerrette.
On aime bien clamer sur la place publique que les gens doivent s’exprimer, que la voix du peuple doit se faire entendre, et autres trucs du genre, mais on n’a pas lieu d’être fiers quand on voit tant de gens tomber à bras raccourcis sur quelqu’un qui ose prendre la parole publique, justement, pour exprimer gauchement son propre malaise devant ses propres lacunes face à sa propre langue.
Comment sera-t-il possible d’améliorer la qualité de la langue française en Acadie si on crucifie quiconque ose remettre en question ses faiblesses?
Cruellement, ça revient à dire que même si le français en Acadie est malmené, on s’en balance.
Sous le faux prétexte, souvent, que tous les francophones sont bilingues, ce qui n’est pas le cas. Et sous un autre faux prétexte: celui qui voudrait que la province du Niou-Brunswick soit bilingue. Sur papier parchemin, peut-être.
Mais… écoutez parler les politiciens acadiens, vous constaterez que plusieurs d’entre eux, lorsqu’ils parlent, pensent en anglais et s’autotraduisent en français… tout croche.
Faut pas s’étonner ensuite qu’ils n’osent pas toucher aux dossiers linguistiques!
En Acadie, à l’exception des jours de «youppe l’ail l’ail l’ail la francofunny», le français, le fait français, la langue française, la réalité française, tout ça semble un fardeau.
Non seulement le bon peuple acadien doit-il supporter le poids des stigmates d’une déportation qui a eu lieu il y a plus de 250 ans parce qu’il était français, il doit maintenant apprendre des règles de grammaire française, il doit tenter de maîtriser l’orthographe française, il doit acquérir du vocabulaire français. Pire: il doit lire en français des livres écrits en français!
Ciel, la malédiction française le poursuit!
C’est d’autant plus un drame que, selon certains chantres du baragouinage linguistique, l’anglais s’apprend tout seul: suffit d’ouvrir la bouche devant un anglophone, ou un francophone en voie d’assimilation camouflée, pour que les mots anglais sortent, comme par magie, les uns après les autres, chacun à sa place, sans faute et sans regret.
En Acadie, l’anglais est une langue magique. Et le français, c’est une langue tragique.
Et quand un hurluberlu vient réclamer un peu plus de respect pour la langue française, il se fait vite remettre à sa place. Phoque l’Académie française, toé!
Les incantations contre l’Académie française, comme argument suprême pour dénoncer les empêcheurs de mal-parler en rond, ça me fait toujours rire de tristesse, parce que généralement ceux qui invoquent ce type d’argument ne savent même pas ce qu’est l’Académie française, à quoi elle sert et qui en est membre! En réalité, elle n’en a rien à cirer de l’Acadie!
Non, il ne s’agit pas d’Académie française. Il s’agit de NOUS. Nous tous. Pris un par un ou pris en groupe, en communauté, en peuple. Avec nos accents acadien, brayon, joual, parisien, marseillais, maghrébin, asiatique, haïtien ou autres.
Je dis bien «nos accents», parce que l’accent c’est une chose et la langue en est une autre. Ça m’ébaubit de constater que cette nuance ne semble pas rentrer dans la tête des gens. Quand quelqu’un nous dit qu’il aime notre accent, il n’est pas en train de nous dire qu’on parle bien français, mais que notre accent lui plaît. Peu importe l’accent en question, d’ailleurs.
Et bien parler français, ce n’est pas «perler» comme on dit par ici pour se moquer de l’accent des autres. Bien parler français, c’est parler français avec ses propres mots français à soi. En les alignant l’un après l’autre dans la phrase quand on parle.
Mon père ne siégeait pas à l’Académie française. Il était analphabète. Il pouvait à peine écrire son nom. Et pourtant, il me parlait français. Ça ne prend donc pas un doctorat en linguistique pour parler français. Ça prend du bon sens, du respect de soi et du respect envers les francophones à qui l’on s’adresse.
Et le même principe s’applique quand on parle anglais, ou allemand, ou italien. Écoutez les anglophones se parler entre eux. Est-ce qu’ils bourrent leurs phrases de mots français? Non. Et pourquoi le feraient-ils?
Pourquoi ne pas nous lancer le défi collectif d’apprendre un nouveau mot français par semaine? Ou de remplacer un anglicisme par une expression française?
Tiens, essayons avec la fameuse expression «à la fin de la journée» qui n’est pas française, malgré les apparences. C’est un calque de l’anglais «at the end of the day».
En français, on peut dire: «en fin de compte» ou «finalement».
Je vais contribuer à cet effort. Chaque semaine je vais tenter d’améliorer mon vocabulaire ou de corriger un de mes anglicismes.
En fin de compte, si l’on s’y met tous, on aura bientôt un beau gros paquet de mots français à se partager, et on n’aura plus besoin d’avoir honte! C’est pas beau, ça?
Han, Madame?