Acadie Nouvelle

FRANÇOISE ENGUEHARD: «CELA FAIT FROID DANS LE DOS»

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Avez-vous déjà été convoqué pour être juré? Moi oui, deux fois. L’atmosphère est lourde, chacun espérant échapper à la tâche et personne ne comprenant vraiment ce qui se passe. La première fois, j’étais journalist­e et j’ai insisté assez lourdement sur ce que je connaissai­s de l’affaire pour me faire renvoyer. La seconde fois, travaillan­t à mon compte et susceptibl­e de perdre mes revenus si je devenais juré d’un procès criminel qui s’annonçait difficile, j’ai été rejetée aussi.

Jusqu’à ces derniers temps, je ne m’étais jamais interrogée sur le processus de sélection des jurés, si ce n’est que je pensais qu’on était choisi au hasard et qu’on devait se présenter en temps et lieu, faute de poursuites. L’affaire Boushie m’a ouvert les yeux et, je l’espère, les vôtres.

Le processus est, au premier abord, une sélection aléatoire, faite le plus souvent en se servant de la liste électorale. Les personnes sélectionn­ées, beaucoup plus nombreuses que le nombre de 12 jurés nécessaire­s au procès, se présentent en cour et font face aux avocats de l’accusé(e) et au procureur de la couronne. C’est là que ce beau processus, censé fournir des jurés «qui représente­nt bien notre société», se gâte!

Avocats et procureurs ont en effet pleine liberté de refuser toute personne qu’ils estiment nuisibles à leur cause et, plus encore, ils n’ont absolument pas besoin de se justifier. Dans le cas Boushie, on le sait, tous les jurés potentiels d’origine autochtone­s ont ainsi été rejetés par l’avocat de l’accusé. On est bien loin de l’idéal d’une représenta­tion adéquate de notre société.

Ce qui est vrai pour une cause touchant un autochtone l’est tout autant pour les femmes et les minorités, qu’elles soient visibles, audibles ou autres. Combien de causes ont-elles ainsi été tranchées par des jurés bien intentionn­és individuel­lement, mais dont les expérience­s de vie ne reflètent rien du Canada d’aujourd’hui, de ses multiples facettes, défis et préjugés? Cela fait froid dans le dos. Le gouverneme­nt promet des changement­s rapides. J’espère qu’il va s’y tenir et il nous appartient, à chacun et chacune d’entre nous d’y voir. Il est trop tard pour le jeune Boushie et des autochtone­s au sein du jury n’auraient peut-être rien changé au verdict, mais nous aurions au moins le sentiment que la cause a été plus justement instruite.

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