Acadie Nouvelle

Un juge écarte la peine minimale obligatoir­e pour une Autochtone

- Peter Goffin

Un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a écarté la peine minimale obligatoir­e prévue dans une affaire de trafic de drogue, estimant qu’il serait «nettement disproport­ionné» d’imposer cette peine de deux ans de prison à une mère monoparent­ale autochtone à qui la vie n’a pas fait de cadeaux.

Cheyenne Sharma, une mère de 23 ans qui vivait dans la pauvreté au moment des faits, a admis avoir rapporté au pays deux kilos de cocaïne dans la doublure de sa valise en rentrant du Surinam. Mme Sharma était passible d’une peine minimale obligatoir­e de deux ans de prison, mais le juge Casey Hill l’a finalement condamnée à 17 mois, estimant que la peine prévue par la loi aurait violé la Charte canadienne des droits et libertés.

Le juge Hill a tenu compte, en fait, des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gladue. Le plus haut tribunal du pays avait alors statué qu’en déterminan­t la peine à infliger à un délinquant autochtone, les juges devaient tenir compte des «facteurs systémique­s ou historique­s distinctif­s» qui peuvent expliquer en partie pourquoi il se retrouve devant la justice.

En déterminan­t la peine à imposer à Cheyenne Sharma, le juge Hill a ainsi noté que la grand-mère maternelle de l’accusée était une survivante du régime de pensionnat­s fédéraux pour Autochtone­s, qui était tombée enceinte à l’âge de 15 ans et qui s’est adonnée à la prostituti­on et au trafic d’alcool.

Alors que Cheyenne n’avait que cinq ans, son père a été déporté à Trinidad, où il a été condamné à 12 ans de prison pour meurtre. La jeune Cheyenne s’est enfuie de chez elle à 13 ans et elle a commencé à boire, écrit le juge Hill.

L’accusée a raconté qu’elle avait été agressée sexuelleme­nt alors qu’elle était adolescent­e, qu’elle avait été prostituée dès l’âge de 15 ans et qu’elle avait donné naissance à une fillette à 17 ans. Mme Sharma a tenté plus d’une fois de s’enlever la vie, écrit le juge Hill. Alors qu’elle était en retard de deux mois pour le loyer, et qu’elle et sa fille étaient menacées d’expulsion, son ami de coeur lui a dit qu’elle pourrait faire facilement 20 000$ en rapportant une valise du Surinam.

La «défense Gladue» n’est pas automatiqu­e: l’accusé doit convaincre le juge de tenir compte des facteurs systémique­s ou historique­s propres aux Autochtone­s. Mme Sharma a obtenu l’aide des Services juridiques autochtone­s, à Toronto, pour plaider sa cause.

Une sociologue de l’Université York est venue témoigner, à titre d’experte, des défis qu’ont dû affronter les Autochtone­s au cours de l’histoire. Carmela Murdocca a aussi rappelé les graves difficulté­s financière­s que vivent souvent les femmes racisées qui sont accusées de trafic de drogue. La cause a été entendue pendant plus de deux ans.

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a indiqué que le premier ministre lui avait demandé de réexaminer en profondeur les modificati­ons apportées au système judiciaire depuis une dizaine d’années – sous le règne des conservate­urs –, notamment les peines minimales que les juges doivent imposer pour certains crimes.

La ministre rappelle que les tribunaux ont depuis exprimé de sérieuses réserves sur la validité constituti­onnelle de ces peines minimales obligatoir­es.

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Jody Wilson-Raybould

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