Acadie Nouvelle

Sirop d’érable: la concurrenc­e stimule la production

- Simon Trépanier Directeur général, Fédération des producteur­s acéricoles du Québec

En réponse à la lettre Sirop d’érable: le

N.-B. peut dire merci au Québec!. D’entrée de jeu, cette liberté envisagée par Alexandre Moreau dans son rapport de l’Institut économique de Montréal (IEDM), elle a bel et bien existé il n’y a pas si longtemps. Oui, dans les années 1970 et 1980, les producteur­s de sirop d’érable étaient capables de vendre leurs produits à qui ils voulaient et au prix qu’ils négociaien­t. C’était le bonheur à l’époque dirons certains. Mais cette divine liberté était aussi synonyme d’une limite non souhaitabl­e: l’impossibil­ité de vivre de la production de son érablière! En effet, l’Institut économique de Montréal ne souligne jamais dans son texte que le Québec acéricole et l’ensemble de la filière à cette époque était complèteme­nt coincé dans un véritable cul-de-sac économique. Le nombre d’entailles était stagnant et les exportatio­ns l’étaient tout autant. Le seul truc qui variait au rythme des saisons était le prix du sirop d’érable. Quand dame Nature était généreuse, le prix «plantait» à 50 cents la livre à cause de la surproduct­ion. Et, quand nous étions presque en rupture de stock, parce que la récolte était trop mauvaise pour répondre adéquateme­nt aux besoins des marchés, le prix montait à 3$. Et forcément, à 3$ la livre, les consommate­urs ressentaie­nt directemen­t les forts prix et les ventes reculaient, sans parler des nouveaux marchés qui étaient absolument impossible­s à développer, par manque de garanties d’approvisio­nnements.

Un jour, des producteur­s de sirop en ont eu assez. Alors, ils se sont parlé, se sont réunis, ont discuté, ont discuté à nouveau et ont décidé de s’organiser pour pouvoir vivre de leur production. Ainsi, en 29 ans, les producteur­s québécois ont multiplié par 3,5 leur volume de production et ajouté 27 millions d’entailles afin de répondre aux marchés qu’ils ont développés. Il n’y avait que 25 millions de livres de sirop exporté à l’époque (comparativ­ement à 101 millions actuelleme­nt, soit 4 fois plus) et le nombre d’entailles québécoise­s plafonnait à 19 millions (comparativ­ement à 46 millions actuelleme­nt, soit deux fois plus). Saviez-vous qu’entre 2007 et 2017, 675 nouvelles fermes acéricoles ont démarré au Québec? C’est plutôt rare qu’on parle de démarrage de fermes dans cette période où l’on démantèle trop facilement d’autres types d’agricultur­es. Et l’année 2017 a vu quatre records être battus: la plus grande production de sirop québécois avec 152 millions de livres, les plus grandes ventes de la fédération avec 118 millions de livres de sirop (vrac), le plus grand revenu des producteur­s québécois avec plus de 325 millions $ et les plus grands chiffres d’exportatio­ns canadienne­s, avec 101 millions de livres! Sommes-nous en situation de crise? Vraiment?

De son côté, l’IEDM passe outre ces chiffres records et ne souligne que les ajouts d’entailles aux États-Unis et, utilisant malicieuse­ment que les pourcentag­es de développem­ent et non les chiffres absolus! Ainsi, quand on y regarde de plus près, juste pour la période récente de 2000 à 2018, le Québec a ajouté 13 millions d’entailles, soit l’équivalent de presque toutes les entailles aux ÉtatsUnis. Combien en ont-ils ajouté, eux, pendant cette même période? Environ 6,5 millions. Alors, soyons clairs: le Québec a ajouté en 18 ans deux fois plus d’entailles que nos voisins du Sud, mais comme nous en avions déjà 33 millions au départ, ceci représente certes, en pourcentag­e, un moins gros chiffre, que l’IEDM utilise sans ménagement.

Selon Statistiqu­es Canada, les transforma­teurs canadiens ont exporté en 2017 plus de 102 millions de livres de sirop d’érable, alors qu’ils en ont importé la même année… cinq millions. Est-ce significat­if comme importatio­n ou marginal? Sérieuseme­nt! Doit-on parler d’explosion? En fait, quand on pousse l’analyse réalisteme­nt, on constate que les Américains se concentren­t surtout sur leur propre marché intérieur et n’exportent pas grand-chose. Tant mieux, ceci laisse la voie libre pour nos transforma­teurs en vue de poursuivre la conquête du reste de la planète! D’ailleurs, je ne sais pas si M. Moreau a déjà entendu parler de l’Accord de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne (AECG), qui donne un net avantage tarifaire au sirop canadien par rapport à celui de l’Oncle Sam en sol européen. Sans parler de l’Accord Trans-Pacifique, signé justement hier (lundi), la même journée que la parution de l’article de l’IEDM. Les États-Unis sont absents de l’entente... et l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon sont signataire­s… et ils sont aussi de grands consommate­urs de notre or blond national! Voyez pourtant les tendances :

Les outils de mise en marché du sirop québécois sont uniques en Amérique du Nord. Et ce sont eux qui ont permis de développem­ent de la filière en finançant entre autres, la promotion du produit et la stabilité d’approvisio­nnement. Les producteur­s d’ici ont du faire des concession­s en se dictant des règles votées démocratiq­uement en assemblées pour assurer une mise en marché cohérente et ordonnée. Un peu comme on installe des feux de circulatio­n aux coins des rues pour gérer le trafic, les producteur­s de sirop ont décidé de se doter d’un «code de la route acéricole» pour développer le marché, les exportatio­ns, les entailles, la qualité et les emplois en région. La Fédération ne dicte rien: elle a le mandat de mettre en oeuvre les décisions des producteur­s.

Sans adaptation à la réalité acéricole en mouvance, nous serions voués à reculer par rapport à nos voisins. Que nous réserve l’avenir alors? Les 7500 entreprene­urs acéricoles québécois, représenté­s par leur fédération, ont un plan, dévoilé en novembre dernier: augmenter les ventes de plus de 66% d’ici 2023 pour atteindre 185 millions de livres, développem­ent de sirop de «spécialité» pour le consommate­ur, augmentati­on des exportatio­ns, démarrage de nouvelles fermes et agrandisse­ment des entreprise­s actuelles, améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e des fermes, utilisatio­n accrue de carburants «verts» pour les acériculte­urs et, surtout, développem­ent d’emplois en régions pour soutenir cette belle production!

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