L’économie avant l’environnement?
C’est en novembre 2016 que le gouvernement Trudeau approuvait le projet d’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan, s’étendant sur une longueur de 1150 kilomètres entre Fort McMurray, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, le volume de pétrole pouvant y être ainsi acheminé, passant de 300 000 à 890 000 barils par jour.
À la même époque, le gouvernement fédéral donnait aussi son aval à la construction d’un deuxième projet du genre, le remplacement de la canalisation 3 d’Enbridge, vieille de 46 ans, qui traverse le sud de la Saskatchewan et du Manitoba avant d’aboutir à Superior, dans l’État du Wisconsin, aux États-Unis, un parcours de 1660 kilomètres, doublant ainsi la présente capacité du pipeline pour la porter à 760 000 barils par jour.
Le coût des deux projets est évalué à près de 15 milliards $. Les antécédents dans ce domaine nous permettent cependant d’envisager que la facture finale dépassera largement ce chiffre.
Ces deux projets de pipelines furent approuvés sous réserve de nombreuses conditions contraignantes dans l’espoir de minimiser les répercussions socioéconomiques et environnementales, des mesures qui ne rassurent aucunement les milliers d’opposants au projet Trans Mountain, en majorité des Autochtones, qui sont descendus dans les rues de Burnaby le 3 mars afin de manifester leur mécontentement. Ils se disent déterminés à en interrompre la construction.
Les protestataires font valoir l’inefficacité des mesures de protection de l’environnement et du mode de vie des gens en place qu’offre présentement l’industrie du pétrole. Comment oublier le déversement de 230 000 litres qui est survenu en 2007, justement dans un quartier résidentiel de Burnaby? Même si les nouvelles installations promises sont plus solides et de meilleure qualité, rien ne peut garantir contre les accidents et les erreurs humaines.
Dans le cas du projet Trans Mountain, le Canada se veut rassurant en appuyant sa décision sur quelque 157 conditions à respecter dans la construction et le maintien de l’oléoduc projeté et sur son régime d’intervention modernisé et renforcé en cas de déversements en mer ou sur terre.
Mais l’histoire récente entourant l’extraction du pétrole en Alberta rend les actes de foi difficiles. Entre 200 et 300 déversements de produits pétroliers sont survenus dans cette province au cours des dernières années. Rappelons, en 2012, un pipeline défectueux qui a déversé environ 300 000 litres de pétrole, dont une large part a atteint les eaux de la rivière Red Deer; en 2015, une fuite due à un bris de pipeline qui a déversé 5 millions de litres d’un mélange de bitume, de sables bitumineux et d’eaux usées près de Fort McMurray sur une surface de 16 000 mètres carrés; un déversement de 380 000 litres déclaré en 2016 dans le nord-ouest de la province et encore, en 2017, un déversement de 200 000 litres de pétrole léger à l’est d’Edmonton.
Que ce soit sous forme de pétrole brut ou raffiné, une large partie de la production est éventuellement transportée par la voie maritime. Et il faut admettre qu’en ce domaine, les statistiques ne sont guère rassurantes. En trois ans seulement (20072009), on a recensé 4160 incidents de pollution par déversement de tous genres en mer, dont 1580 impliquaient des hydrocarbures, sans oublier les désastres des pétroliers Arrow, Golden Robin et Kurdistan entre 1970 et 1979, de l’Exon Valdez (1989), du Prestige (2002) et surtout l’effondrement de la plateforme Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique, en 2010, qui a déversé pas moins de 800 millions de litres de pétrole brut dans la mer, dont le quart demeure à ce jour présent dans les profondeurs. Les conséquences économiques et écologiques de cet événement continuent à se faire ressentir encore aujourd’hui. Et lorsqu’on considère qu’il en existe près de 4000 des plateformes pétrolières ou gazières actives dans le golfe du Mexique, il y a de quoi s’inquiéter.
Au total, on estime à 3 millions de tonnes les hydrocarbures déversés en mer annuellement de par le monde, dont 90% sont de provenance humaine, en majorité comme suite à des actes volontaires industriels ou domestiques.
Le premier ministre Trudeau a affirmé que le projet Trans Mountain favorise l’intérêt public canadien. Je trouve difficile à croire qu’il s’agisse de l’intérêt environnemental des Canadiens, même si, en cours de négociation, le gouvernement de l’Alberta s’est engagé à plafonner ses émissions associées à l’exploitation des gaz bitumineux à 100 mégatonnes de CO2 par année. Dans la conjoncture, cela me semble déjà énorme.
Est-ce à dire que le gouvernement canadien donne priorité à l’intérêt économique du pays au détriment de l’environnement mondial? Je me souviens qu’un certain monsieur Trump avait évoqué cette «logique» pour expliquer le retrait des ÉtatsUnis de l’Entente de Paris, en août 2017.