Le printemps, veux, veux pas!
Bon, le printemps commence aujourd’hui. Point final. L’hiver peut ramasser sa neige sale, sa glace sale, son grésil sale, son verglas sale, sa poudrerie sale, pis sacrer son camp! Bon débarras!
Allez, oust!, maudit facteur éolien qui rajoute une couche de cruauté à cette maudite saison pas endurable!
J’VEUX PU WOUÈRE UN SEUL MAUDIT FLOCON DE NEIGE!
Désolé pour les aspirants futurs champions olympiques qui rêvent de gagner un jour des médailles au ski acrobatique sur la neige artificielle de quelque pays malmené par le réchauffement climatique et néanmoins désireux de se péter les bretelles devant le reste de la planète: non merci, à matin, c’est ça qui est ça!
Désolé pour les amoureux des Noël blancs qui se retiennent d’aller à l’église toute l’année afin d’aller se pavaner à la messe de minuit pour écouter la chorale du village beugler «Les Anges dans nos campagnes» suivi d’un sermon soporifique: non merci, à matin, on a déjà donné, c’t’assez.
Désolé pour les amateurs de plein air qui jouissent à l’idée de faire des bivouacs dans des bancs de neige hauts comme ça, en se bourrant la fraise de hot-dogs jumbo carbonisés au bout d’une branche tenue d’une main gelée pendant que de l’autre on se passe le 40 onces de Calvados! Non, merci, à matin, ça se dit bien!
Fiou. J’en avais gros sur le coeur, on dirait.
Je n’en peux plus de cette saison! Pas de celle qui commence, mais de celle qui se terminait hier et dont je tairai le nom diabolique au moins jusqu’au 2 novembre, jour des morts, jour où les nuages portent le noir du deuil, jour du déclenchement de cette fin du monde annuelle qui nous force à nous encabaner comme des ours, des mois durant.
Faut pas vous étonner si ce matin je grogne justement comme un ours en cage, comme un ours mal léché, comme un ours affamé: je viens d’ouvrir la porte de ma cabane et je constate que le printemps censé m’attendre sur le perron est en retard, et s’il y a quelque chose qui m’horripile, c’est le manque de ponctualité.
S’il est vrai que la ponctualité est la politesse des rois, trouvez-moi un trône, que’qu’un! Chu prêt!
Alors, quand une saison, déjà prévue au calendrier depuis la nuit des Temps, se permet de nous faire poireauter sur le seuil, nous posant un lapin de Pâques avant le temps, mes vieilles racines culturelles se gonflent de sève gauloise et je me mets à râler comme un arrière-cousin de Frônce toujours prêt à sortir la guillotine au premier feu rouge venu.
Non, je vous le dis, et vous le répète, on ne me la fait plus: le printemps commence aujourd’hui, et je lance illico une pétition pour que le Ciel hausse le thermostat. On gèle, barnac!
PIS VIVE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE!
Kin, toé!
Ouf. Ça fait du bien. Faut faire sortir le méchant.
Mes propos doivent vous étonner. C’est si rare que je lève le ton. Si rare que je m’énerve comme ça. Que je dénonce, ironise, rouspète et fulmine. Si rare que j’évente les heurles…
Comme vous le savez, d’habitude mes mots ne sont que le gazouillis grassouillet d’un homme adouci par une sagesse moelleuse; que le bruissement rieur d’un ruisseau qui dégèle en zigzaguant dans un sousbois. Parfois même, mes mots tombent en silence, comme des tonnes de flocons inutiles qui se déposent en catimini la nuit, tandis qu’on dort, et qui nous surprennent le matin, au réveil, et nous forcent à sortir la maudite pelle! Mais, bon, pas ce matin! Ce matin,
scream bloody murder!, comme on dit en chiac. En français: je lance des cris d’orfraie! Mes cris devraient pouvoir se rendre jusqu’aux Oreilles divines, puisqu’aucun nuage ne s’est aventuré sous la coupole céleste qui est, en ce moment, d’un beau bleu pur, cristallin, quasi translucide. Et carrément glacial!
Ciel, une coupole signée Lalique!
Quand le bon Dieu se met à faire de la pub pour l’un des plus célèbres joailliersverriers du monde, on ne peut en conclure qu’une chose: la mondialisation s’est infiltrée au paradis!
Le capitalisme est la nouvelle religion universelle révélée. Et les Google, Wikipédia, Facebook et Twitter sont les évangiles informatiques qui ont remplacé les évangiles synoptiques!
Bref, l’actualité nous rattrape et même la poésie ne peut y échapper. Gageons que bientôt on vendra la poésie au gramme. Comme le cannabis fédéral, fiévreusement attendu par le bon peuple qui n’attend que ça pour s’envoyer en l’air, pour oublier son destin, pour croire en l’immortalité du Botox. Et pour voter libéral, crampé ben raide, avant de sauter dans le vide, en gang, comme les moutons de Panurge. — Qu’est-ce t’as fait hier soir? — Maudit qu’on a ri! — Ah! ouais, yousse t’étais? — On a asssssez rrri, là! Ah! bon.
Récapitulons: c’est officiellement le printemps. Pas une mozusse d’hirondelle en vue. Il fait frette à mort. Chu t’en beau joual vert. Et vous, ça va?
Oui, je sais, vous attendez pas mal de neige, du grésil et du verglas. Je vous entends bougonner de chenous. Et je vous comprends.
Quand le pot sera légal, en pareilles circonstances je pourrai vous réconforter en vous recommandant de vous allumer un pétard et de vous la couler douce devant le feu de foyer en attendant que le beau temps revienne. Mais pas aujourd’hui. Que voulez-vous, c’est encore illégal! Vous pourriez vous retrouver derrière les barreaux avec des malabars velus et tatoués en mal de viande fraîche. Patientez, patientez.
Tiens, essayez des costumes ethniques en attendant! Et prenez des ego-portraits que vous pourrez poster sur Instagram! C’t’écoeurant comme c’t’amusant!
Pis crinquez le volume! À matin, on se brasse le popotin!
Quoi? La guerre en Syrie? La quoi? La faim dans le monde? Quoissé? La pollution de l’environnement?
Ah! non par zempe! ! Pas ça! Pas aujourd’hui! Aujourd’hui, on parle juste des belles affaires.
Aujourd’hui, c’est le printemps. Veux, veux pas. Yéé, genre.
Han, Madame?