«On s’est battu pour les écoles, va falloir se battre aussi pour les journaux»
La directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, Colette Brin, est dans les premières loges de la crise qui écorche sans distinction les petits et les grands journaux au pays. La professeure de journalisme participe à l’échelle local
Les abonnements et la publicité ne sont plus les piliers traditionnels de la presse.
«Quand on est dans l’urgence, dit la Manitobaine d’origine, quand on n’a pas beaucoup d’argent ou de monde, on est souvent au bord de l’épuisement. Et à ce moment-là, on n’est pas à notre meilleur pour innover. Mais on ne peut pas rester sur un modèle très longtemps, on est condamné à essayer de nouvelles choses. C’est la réalité de l’environnement numérique.»
Colette Brin est témoin des adaptations de médias qui diversifient leurs sources de revenus (publireportages, graphiques et campagnes publicitaires) et développent de nouveaux produits (vidéos, débats, évènements).
À l’instar du fédéral, pour qui la diffusion des publicités dans les journaux n’est plus le moyen le plus efficace et le moins coûteux de communiquer avec le public, les médias communautaires commencent «à développer des outils publicitaires aussi raffinés à des prix compétitifs», estime-t-elle.
Pour innover, il faut des moyens financiers. Et cette quête apporte «un risque d’éparpillement dans toutes sortes de petits projets, ainsi que le risque de confusion, par exemple entre un service de communications et la rédaction du journal, obligée de faire une couverture parfois critique».
«NE PAS SCIER LA BRANCHE SUR LAQUELLE ON EST ASSIS»
L’importance d’un journalisme autonome exige qu’on le rappelle constamment, croitelle. «Le rôle d’un journal est parfois mal compris: ce n’est pas un cheerleader, c’est une voix pour la communauté et non pour des organismes. La plus grande force d’un journal est sa crédibilité et son indépendance.»
«Le journalisme va continuer à se pratiquer même si certains aimeraient mieux que ce ne soit pas le cas. On s’est battu pour les écoles, va falloir se battre aussi pour les journaux.»
Les médias se tournent vers le gouvernement pour les aider à survivre et demeurer autonomes. Le fédéral écoute, selon Colette Brin, et serait en mode de solution pour les appuyer dans le virage numérique.
«Le rôle de l’État devient important, mais les gouvernements ne savent pas trop comment faire. C’est un constat: je ne suis pas sûre que je saurais quoi faire à sa place.»
Diverses solutions sont à l’étude, dont un crédit d’impôt sur la masse salariale et un octroi destiné à la Presse canadienne, l’agence nationale, pour assurer une couverture dans les petits marchés. Des mesures se trouvent dans le budget fédéral de février: la création d’un fonds d’innovation, le développement d’un modèle de fondation pour les dons privés et un appui national de 50 millions $ sur cinq ans au journalisme local.
Mais ventilée sur cinq ans à l’échelle du pays, calcule Colette Brin, cette somme ressemble à une goutte d’eau dans l’océan. Pour mettre en perspective, elle rappelle le prêt de 10 millions $ du gouvernement du Québec pour appuyer la transition numérique chez les six quotidiens du Groupe Capitales Médias, que ses concurrents ont contesté, accusant le gouvernement de favoritisme.