Ah! Les coquettes!
Saint Bernard avait dit à un de ses disciples qu’il apprendrait autant des arbres que des livres. Pour acquérir la sagesse, il faut fréquenter autant les forêts que les bibliothèques. Cet hiver, c’est le sumac vinaigrier, cet arbuste envahissant et robuste qui a attiré mon attention.
L’hiver, les fruits rouges du vinaigrier contrastent avec la blancheur de la neige. C’est la plus belle saison pour les apprécier. Et puisque l’hiver se poursuit au printemps ici, on peut continuer à les admirer encore un peu.
Les premiers fruits de vinaigrier qui ont attirés mon attention résistaient aux grands vents de l’hiver à la plage. Je me suis dit que ça ferait de belles décorations de Noël. J’ai ensuite vu un rassemblement de vinaigriers, solitaire au milieu d’un champ de neige. De toute beauté! Je n’ai pu m’empêcher de les prendre en photo. Ils ont acceptées poliment.
Qu’il était beau le spectacle de ces branches de vinaigrier dans ce champ de neige immaculée. On aurait dit des bras qui s’élèvent et qui cherchent à rejoindre d’autres bras. Des bras qui cherchent à toucher le ciel et qui vont jusqu’à tendre le bout de leurs doigts.
Et au bout de leurs doigts, on dirait des pièces de rubis qu’un joaillier avait précieusement appliquées sur demande.
C’est alors que je me suis dit «Ah! les coquettes!»
Au milieu de l’hiver, j’ai vu des fruits du vinaigrier participer à la mosaïque des arbres longeant la piste de ski de fond. Dans la forêt hivernale, il y a peu de place pour les couleurs vives. La plupart des feuillus ont perdu leurs joyaux; reste les verts des conifères pour rivaliser entre eux. Et voilà que cette dame entre en scène et se démarque avec… on pourrait aussi dire son vernis à ongles. On dirait Maryline Monroe à une conférence sur la simplicité volontaire!
Mais qui a dit que les «Maryline Monroe» de ce monde ne pratiquaient pas la simplicité volontaire? Tous les arbres d’une forêt (des plus rustres aux plus élégants) participent leur manière à cet écosystème vital pour la planète. La diversité est même essentielle. Elle est nécessaire et belle. Comme pour les personnes dans notre monde, je suppose!
Celui qui polit le bout des branches a pu appliquer plusieurs couches de vernis sans lésiner. En plein vent, ça sèche facilement. Il l’a fait pour qu’elle dure et que le vernis tienne longtemps, malgré les intempéries. C’est réussi. Même pour la couleur, ça me semble particulièrement bien choisi et agencé avec la couleur de la peau des branches. Je ne suis pas spécialiste, mais je donne une bonne note pour la manucure.
Cette semaine, j’ai revu des branches de vinaigrier. C’était un jour gris. Le rouge n’avait plus l’éclat écarlate des jours ensoleillés d’hiver. Il était plus foncé. Couleur de vin, de sang. Ce jour-là, on aurait dit qu’un carnage avait eu lieu sur ces lieux. Les branches étaient maculées de sang. Les mains avaient participé au combat. En tout cas, elles avaient été victimes ou bourreaux.
Ce rouge, ici et là dans le désert des bois, m’a rappelé la souffrance du monde. L’arbre, présence pure, présente à tout ce qui nous arrive, jour après jour, nuit après nuit. Il peut tantôt protéger. Et d’autres fois faire mourir. Il ne dort jamais. Toujours, il veille, tant et aussi longtemps qu’il lui reste une saison, une journée ou une heure pour donner et donner encore.
Dans quelques semaines, il n’y aura plus de rougeur au bout des branches du vinaigrier. Après avoir médité pendant tout l’hiver, les arbres vont nous révéler tout ce dont ils sont capables. Au signal donné par la lumière, ils vont se réveiller et recommencer à nous parler avec leurs bourgeons, leurs feuilles, leurs fleurs et leurs fruits.
Cette semaine, un arbre est planté au calendrier de nos vies. Un arbre de Palestine devenu la croix qui ferait mourir le Fils de l’Homme. Peut-être que chaque arbre de nos forêts est une relique de ce tronc planté sur le Calvaire pour crucifier le Fils de l’Homme.
De cet arbre a jailli la vie. Je vous souhaite de le contempler pour saisir de quel amour nous sommes aimés.
Bonne semaine sainte!