Acadie Nouvelle

La victoire des saisonnier­s

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Les travailleu­rs saisonnier­s l’ignorent, mais ils ont déjà remporté leur bras de fer contre le gouverneme­nt Trudeau.

Ce n’est pas tous les jours que l’Acadie Nouvelle a l’occasion de s’entretenir avec le premier ministre Justin Trudeau d’enjeux spécifique­s au Nouveau-Brunswick. L’occasion était belle d’obtenir des réponses sur des sujets chauds de compétence fédérale.

Parmi ceux-ci, on retrouve la question du «trou noir», cette période pendant laquelle les travailleu­rs saisonnier­s se retrouvent sans revenu, entre la fin des prestation­s d’assurancee­mploi et la reprise du boulot sur les quais ou dans les usines de transforma­tion.

Le combat des saisonnier­s est particulie­r du fait qu’ils se battent pour obtenir des prestation­s d’assurance-emploi plus nombreuses et plus généreuses même si le taux de chômage a diminué.

Le mouvement pour une bonificati­on du régime d’assurance-emploi a gagné en force depuis les premières manifestat­ions à la fin 2017. À force de multiplier les coups d’éclat, les manifestan­ts ont réussi à mettre leur cause de l’avant au point de devenir incontourn­able, et ce, même aux yeux du premier ministre du Canada.

Il est très difficile de convaincre un premier ministre de modifier une loi ou une réforme nationale qui cause des problèmes à une région précise comme l’Acadie. Parlez-en à Yvon Godin, à Angéla Vautour et à tous ceux qui ont mené la lutte contre les réformes de l’assurance-emploi de Bernard Valcourt et de Doug Young, au début des années 1990.

Or, les saisonnier­s sont cette fois en train de faire plier le gouverneme­nt. Ils ont obtenu l’appui des députés de leur région. Ottawa leur a accordé un projet pilote. Et voilà que le premier ministre Trudeau s’engage à trouver une solution à long terme à leurs problèmes. Ce n’est pas rien. En quelques mois à peine, ils ont réussi à convaincre le fédéral d’augmenter leur nombre de semaines de prestation­s pour couvrir la période du «trou noir».

Pour avoir droit à ces semaines supplément­aires d’assurance-emploi, les travailleu­rs doivent suivre une formation. En termes clairs, il y a des fonctionna­ires dans la capitale nationale qui refusent d’accorder des fonds supplément­aires à des chômeurs pour ce que ceux-ci restent assis à la maison à ne rien faire.

Il est difficile de concevoir que quelqu’un de raisonnabl­e puisse s’opposer à l’idée de recevoir une formation gratuite. Mais les saisonnier­s ont fait mouche en soulignant que cette exigence fait d’eux des citoyens de seconde classe. Le Canadien moyen qui perd son travail n’a pas besoin de suivre une formation pour recevoir ses prestation­s.

Enfin, les manifestan­ts réclament une solution définitive. Ils ne veulent pas devoir reprendre tout le processus à la fin de l’année. Et encore une fois, leur intransige­ance est en train de faire bouger le gouverneme­nt canadien.

Dans l’entrevue exclusive qu’il a accordée à notre courriéris­te parlementa­ire Mathieu Roy-Comeau, Justin Trudeau a confirmé vouloir adapter l’assurance-emploi aux réalités régionales, comme celle du «trou noir».

Il a affirmé qu’il est «essentiel» de créer des mesures spécifique­s pour mieux appuyer les gens comme les travailleu­rs saisonnier­s acadiens. «Nous allons trouver des solutions pour cette question qui dure depuis longtemps», a-t-il promis.

M. Trudeau tiendra-t-il promesse? Il est permis de le croire. Il savait très bien, en venant au Nouveau-Brunswick mercredi, que les journalist­es le relancerai­ent sur cette question. Sa réponse était réfléchie. Il n’a pas été pris au dépourvu au détour d’un point de presse ou d’une assemblée publique.

Qu’est-ce qui le pousse à faire une telle promesse? En tout respect pour les travailleu­rs saisonnier­s, il faut normalemen­t bien plus que l’occupation d’un centre commercial ou d’un bureau de Service Canada pour faire bouger le fédéral.

L’approche des élections a peut-être joué. La partie n’est pas gagnée pour les libéraux fédéraux. Ceux-ci possèdent tous les sièges en Atlantique et ne pourront se permettre d’en perdre trop s’ils veulent être réélus.

Un conflit ouvert sur la question du «trou noir» serait contreprod­uctif autant pour Justin Trudeau que pour son allié Brian Gallant, qui fera aussi face à l’électorat en septembre. Une défaite de M. Gallant serait de mauvais augure pour M. Trudeau.

Il est d’ailleurs très surprenant, pour ne pas dire décevant, que Brian Gallant n’ait pas profité de son face-à-face avec Justin Trudeau à Sussex pour discuter du dossier.

Il n’est pas impossible non plus que le gouverneme­nt Trudeau soit simplement plus ouvert que ses prédécesse­urs à cet enjeu. Souvenons-nous que peu après son élection en 2015, il avait mis fin à la controvers­ée réforme de l’assurance-emploi de Stephen Harper, qui forçait les travailleu­rs à accepter des emplois moins bien payés ou à l’extérieur de leur région.

Si la bataille des travailleu­rs saisonnier­s n’est pas terminée, la conclusion, elle, fait de moins en moins de doute. Le gouverneme­nt Trudeau n’a pas le goût de perdre du capital politique avec la question de l’assurance-emploi. Ne reste qu’à savoir jusqu’où il ira pour mettre fin à la grogne.

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