Difficile d’aller plus loin à Dieppe
Une campagne de recrutement d’un restaurant McDonald’s nous rappelle tristement que la bataille pour un affichage bilingue et un service en français ne sera peut-être jamais remportée à Dieppe et dans de nombreuses autres communautés acadiennes.
Un citoyen a sonné l’alerte ces derniers jours. Le restaurant au gros M jaune de Dieppe cherche de nouveaux employés. Même si la succursale est située dans une communauté où plus de 80% des citoyens parlent le français, elle n’a rien trouvé de plus intelligent à faire que de diffuser des affiches uniquement dans la langue de Shakespeare.
La Ville de Dieppe a été invitée à intervenir, mais celle-ci a décliné pour une bonne raison. Si elle dispose d’un arrêté municipal, celui-ci ne s’applique que pour l’affichage extérieur. McDonald’s (et tout autre commerce) peut tapisser ses murs en anglais ou en chinois si tel est son désir.
Dieppe devrait-elle passer à la prochaine étape et renforcer son arrêté municipal? Si cela est souhaitable, notons que la Ville s’aventurerait alors sur un terrain beaucoup moins solide. En 2010, la Cour supérieure de l’Ontario a validé le règlement du Canton de Russel, lequel est semblable à celui adopté à Dieppe. Par contre, nous sommes en territoire inconnu en ce qui a trait à l’affichage intérieur, du moins en ce qui concerne l’autorité des municipalités.
Si on remonte en 2010, on découvre que le conseil n’a pas légiféré pour forcer les commerces à tapisser du français partout.
L’objectif était plutôt de bilinguiser l’espace public. Une enquête à l’époque avait démontré que près de la moitié des pancartes extérieures étaient unilingues anglaises, contre à peine 4% qui affichaient en français seulement.
Dieppe a ainsi adopté des règles claires en 2010.
Notons que les peurs apocalyptiques véhiculées par les opposants à l’époque ne se sont pas réalisées.
Les entrepreneurs n’ont pas fui en masse, la réputation du Sud-Est comme étant un bon endroit pour y véhiculer des affaires n’a pas été entachée et aucune guerre linguistique ne s’est déclarée dans les rues de la ville.
Eh oui, mettre un peu de français dans les rues d’une ville acadienne n’est pas synonyme de fin du monde.
Cela ne signifie pas que cela se fasse sans controverse. Au Québec, où une lutte de tous les instants est menée pour préserver le visage francophone de la province, les débats sont continuels.
Le gouvernement du Québec souhaitait forcer les entreprises à franciser leur nom anglophone à l’aide d’un générique ou d’un descriptif.
Par exemple, Walmart aurait dû inscrire Magasin Walmart ou quelque chose du genre. Le gouvernement a abandonné cette idée pour plutôt exiger dans la loi une «présence suffisante» du français sur la façade (un slogan par exemple).
Dans Le Devoir cette semaine, l’Observatoire national en matière de droits linguistiques s’interroge toutefois sur la portée réelle de la loi. «Qu’est-ce qu’une présence suffisante? Est-ce qu’afficher “entrée” sur ma porte, quand tout le reste est en anglais, c’est une présence suffisante du français?»
Et on vous fait grâce des controverses périodiques qui émaillent l’actualité de la province voisine, comme en 2013 quand un agent de l’Office québécois de la langue française a reproché à un restaurateur italien de Montréal l’utilisation de mots tels que pasta et vino dans son menu.
Bref, il n’y a pas qu’à Dieppe où on s’interroge à quel point les autorités peuvent imposer l’utilisation des deux langues.
Ceux qui souhaitent que la Ville aille désormais plus loin doivent par contre se souvenir que si elle a choisi de réglementer l’affichage extérieur en 2010, ce n’est pas de gaieté de coeur, ni même de sa propre initiative.
On oublie qu’il y a dix ans, un véritable mouvement populaire s’était mis en branle. Une pétition avait recueilli plus de 4000 signatures. Dieppe n’aurait sans doute jamais agi si ce n’avait été de cette mobilisation citoyenne et du travail exceptionnel de Martin LeBlanc Rioux dans ce dossier, à l’époque. La pression extérieure était continuelle.
Il n’y a rien de tel aujourd’hui. Le conseil s’appuierait cette fois sur un consensus beaucoup moins large et surtout plus fragile que lors de l’adoption de l’arrêté original.
Il faudra bien plus qu’une plainte au conseil municipal pour convaincre les élus d’intervenir sur l’enjeu de l’affichage intérieur. Si l’histoire nous a appris quelque chose, c’est que sans une mobilisation forte ou une décision des tribunaux, aucune ville ne sent l’obligation de réglementer son paysage linguistique.
C’était vrai en 2010 au moment d’adopter l’arrêté municipal sur l’affichage bilingue. Et c’est tout aussi véridique aujourd’hui, quand McDonald’s décide que dans son restaurant, ça se passe dans la langue de Shakespeare.