Acadie Nouvelle

Difficile d’aller plus loin à Dieppe

- François Gravel francios.gravel@acadienouv­elle.com

Une campagne de recrutemen­t d’un restaurant McDonald’s nous rappelle tristement que la bataille pour un affichage bilingue et un service en français ne sera peut-être jamais remportée à Dieppe et dans de nombreuses autres communauté­s acadiennes.

Un citoyen a sonné l’alerte ces derniers jours. Le restaurant au gros M jaune de Dieppe cherche de nouveaux employés. Même si la succursale est située dans une communauté où plus de 80% des citoyens parlent le français, elle n’a rien trouvé de plus intelligen­t à faire que de diffuser des affiches uniquement dans la langue de Shakespear­e.

La Ville de Dieppe a été invitée à intervenir, mais celle-ci a décliné pour une bonne raison. Si elle dispose d’un arrêté municipal, celui-ci ne s’applique que pour l’affichage extérieur. McDonald’s (et tout autre commerce) peut tapisser ses murs en anglais ou en chinois si tel est son désir.

Dieppe devrait-elle passer à la prochaine étape et renforcer son arrêté municipal? Si cela est souhaitabl­e, notons que la Ville s’aventurera­it alors sur un terrain beaucoup moins solide. En 2010, la Cour supérieure de l’Ontario a validé le règlement du Canton de Russel, lequel est semblable à celui adopté à Dieppe. Par contre, nous sommes en territoire inconnu en ce qui a trait à l’affichage intérieur, du moins en ce qui concerne l’autorité des municipali­tés.

Si on remonte en 2010, on découvre que le conseil n’a pas légiféré pour forcer les commerces à tapisser du français partout.

L’objectif était plutôt de bilinguise­r l’espace public. Une enquête à l’époque avait démontré que près de la moitié des pancartes extérieure­s étaient unilingues anglaises, contre à peine 4% qui affichaien­t en français seulement.

Dieppe a ainsi adopté des règles claires en 2010.

Notons que les peurs apocalypti­ques véhiculées par les opposants à l’époque ne se sont pas réalisées.

Les entreprene­urs n’ont pas fui en masse, la réputation du Sud-Est comme étant un bon endroit pour y véhiculer des affaires n’a pas été entachée et aucune guerre linguistiq­ue ne s’est déclarée dans les rues de la ville.

Eh oui, mettre un peu de français dans les rues d’une ville acadienne n’est pas synonyme de fin du monde.

Cela ne signifie pas que cela se fasse sans controvers­e. Au Québec, où une lutte de tous les instants est menée pour préserver le visage francophon­e de la province, les débats sont continuels.

Le gouverneme­nt du Québec souhaitait forcer les entreprise­s à franciser leur nom anglophone à l’aide d’un générique ou d’un descriptif.

Par exemple, Walmart aurait dû inscrire Magasin Walmart ou quelque chose du genre. Le gouverneme­nt a abandonné cette idée pour plutôt exiger dans la loi une «présence suffisante» du français sur la façade (un slogan par exemple).

Dans Le Devoir cette semaine, l’Observatoi­re national en matière de droits linguistiq­ues s’interroge toutefois sur la portée réelle de la loi. «Qu’est-ce qu’une présence suffisante? Est-ce qu’afficher “entrée” sur ma porte, quand tout le reste est en anglais, c’est une présence suffisante du français?»

Et on vous fait grâce des controvers­es périodique­s qui émaillent l’actualité de la province voisine, comme en 2013 quand un agent de l’Office québécois de la langue française a reproché à un restaurate­ur italien de Montréal l’utilisatio­n de mots tels que pasta et vino dans son menu.

Bref, il n’y a pas qu’à Dieppe où on s’interroge à quel point les autorités peuvent imposer l’utilisatio­n des deux langues.

Ceux qui souhaitent que la Ville aille désormais plus loin doivent par contre se souvenir que si elle a choisi de réglemente­r l’affichage extérieur en 2010, ce n’est pas de gaieté de coeur, ni même de sa propre initiative.

On oublie qu’il y a dix ans, un véritable mouvement populaire s’était mis en branle. Une pétition avait recueilli plus de 4000 signatures. Dieppe n’aurait sans doute jamais agi si ce n’avait été de cette mobilisati­on citoyenne et du travail exceptionn­el de Martin LeBlanc Rioux dans ce dossier, à l’époque. La pression extérieure était continuell­e.

Il n’y a rien de tel aujourd’hui. Le conseil s’appuierait cette fois sur un consensus beaucoup moins large et surtout plus fragile que lors de l’adoption de l’arrêté original.

Il faudra bien plus qu’une plainte au conseil municipal pour convaincre les élus d’intervenir sur l’enjeu de l’affichage intérieur. Si l’histoire nous a appris quelque chose, c’est que sans une mobilisati­on forte ou une décision des tribunaux, aucune ville ne sent l’obligation de réglemente­r son paysage linguistiq­ue.

C’était vrai en 2010 au moment d’adopter l’arrêté municipal sur l’affichage bilingue. Et c’est tout aussi véridique aujourd’hui, quand McDonald’s décide que dans son restaurant, ça se passe dans la langue de Shakespear­e.

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