L’argent avant les sentiments
On dira ce qu’on voudra du conseil municipal et des employés de la Ville de Moncton, mais personne ne les accusera de faire preuve de sentimentalisme au moment de prendre des décisions importantes.
En l’espace de quelques semaines, la Ville de Moncton a largué pas une, mais deux entreprises qui ont leur siège social en plein centre-ville, qui paient des dizaines de milliers de dollars annuellement en taxe foncière et qui donnent du travail à des centaines de citoyens de la région. Ce n’est pas banal comme rupture. Assomption Vie est établie à Moncton depuis plus d’un siècle. La Place Assomption, avec ses 20 étages, est de loin le plus haut édifice de la municipalité. La ville et la compagnie d’assurance partagent une histoire commune.
Quant à Croix Bleue Medavie, son siège social est situé en face de l’édifice municipal. Les deux bâtisses sont même reliées par une passerelle qui surplombe la rue Main.
Bref, nous parlons ici de deux entreprises bien implantées dans la communauté et dont les liens sont historiquement très étroits avec la municipalité. Et voilà qu’elles sont toutes les deux mises de côté au profit d’entreprises ayant pignon sur rue ailleurs au Canada et aux États-Unis.
Que s’est-il passé? La réponse est désespérément simple. L’argent a parlé.
Le conseil des fiduciaires du régime de pension des employés de la Ville de Moncton a décidé d’octroyer son fonds évalué à plus de 80 millions $ aux firmes Blackrock Asset Management, de New York, et Manuvie, de l’Ontario.
Les employés étaient tout à fait en droit de prendre cette décision. Leur objectif est d’assurer aux personnes admissibles une retraite confortable, pas d’appuyer les entreprises locales. Ils croient avoir trouvé des gestionnaires plus efficients avec plus de ressources.
En termes plus clairs, ils estiment qu’en quittant Assomption Vie, il leur en coûtera moins cher de frais de gestions et auront droit à un meilleur service.
Assomption Vie conteste cette conclusion, en affirmant que ses rendements sont excellents, mais peu importe. Les employés et la Ville ont analysé différentes soumissions et ont retenu la plus attrayante.
L’argent avant les sentiments. Dommage pour Assomption Vie, mais tant mieux pour les retraités et futurs retraités de la Ville de Moncton.
Le dossier semble encore plus limpide dans le cas de Croix Bleue Medavie.
L’entreprise était l’un des fournisseurs du régime d’assurance collective aux employés municipaux depuis 16 ans. En testant le marché, la Ville a réalisé qu’elle pouvait économiser plus d’un demi-million de dollars par année en confiant son programme à quelqu’un d’autre.
C’est beaucoup d’argent. Face à autant d’économies potentielles, on devine que la symbolique d’un hôtel de ville et d’une compagnie d’assurance reliés par une passerelle n’a pas pesé lourd. Sans oublier que la loi oblige les municipalités à choisir le plus bas soumissionnaire. Le coup a néanmoins porté. Croix Bleue Medavie a partagé sa déception. Pour sa part, le PDG d’Assomption Vie, André Vincent, ne s’est pas gêné pour attaquer la décision, la qualifiant de mauvaise, d’injustifiable et d’inacceptable.
Sa réaction ne surprend pas. L’entreprise qu’il dirige avait réagi de la même façon il y a une vingtaine d’années quand l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du N.-B. s’était tournée vers une autre compagnie d’assurance pour gérer son assurance collective.
Les temps ont changé. Les consommateurs ne sont plus fidèles à leur caisse populaire ou à leur compagnie d’assurance sans poser de questions. Ils en veulent plus pour leur argent.
Assomption Vie est mal placée pour réclamer une forme de protectionnisme, elle qui se fait une fierté de brasser des centaines de millions de dollars à l’extérieur de l’Acadie.
Elle est loin l’époque où sa mission consistait avant tout à défendre le bien-être des Acadiens. Si elle n’a pas abandonné son rôle communautaire, il reste que celui-ci n’est plus ce qu’il a déjà été. De plus, on ne se gêne pas pour dire à l’intérieur du gratte-ciel de la rue Main que les perspectives de croissance sont meilleures à l’extérieur des frontières du Nouveau-Brunswick.
Il n’y a rien de mal à cela. Mais en devenant une multinationale comme les autres, Assomption Vie ne peut pas prétendre à une fidélité sans faille comme à l’époque où elle privilégiait son rôle d’«institution» acadienne.
Les Néo-Brunswickois ont toutes les raisons d’être fiers de voir Assomption Vie, Croix Bleue Medavie et UNI Coopération financière jouer dans la cour des grands. Mais cela ne dispense pas ces entreprises de leur responsabilité d’être aussi bonnes, sinon meilleures que la concurrence.
La Ville de Moncton, ses employés et ses retraités étaient tout à fait dans leur droit de chercher à obtenir de meilleures conditions sur le marché. Souhaitons que la prochaine fois qu’ils lanceront un appel d’offres de ce type, ils pourront trouver ces conditions dans leur cour.