Le divorce de Tim Hortons
Sylvain Charlebois Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires, Doyen de la Faculté en Management, Université Dalhousie
Le plus récent sondage mené sur la réputation des entreprises agroalimentaires canadiennes nous apprend quelques bonnes leçons. À peu d’exceptions près, les entreprises du secteur alimentaire ont dégringolé sur le palmarès annuel de cette 28e édition. Depuis près de trois décennies, LégerNational évalue la réputation des entreprises qui exploitent un commerce au Canada, mais pas exclusivement des entreprises canadiennes.
Étonnamment, l’entreprise la plus respectée dans le domaine alimentaire est Kelloggs, au 8e rang, suivie par Campbells et Kraft. Malgré les accusations de collusion dans le secteur du pain, Sobeys ne s’en tire pas si mal en faisant un bond de dix places. Heinz, marqué par le scandale du ketchup il y a deux ans, réussi à se hisser dans les rangs du palmarès. Mais Loblaws, Costco, Maple Leaf Foods, General Mills, McCain Foods ont tous vu leur performance s’amoindrir d’une façon ou d’une autre.
Mais la pire performance appartient à Tim Hortons. L’entreprise canadienne cède sa 4e place pour se retrouver en 50e position, en une seule année. L’un des pires résultats de l’histoire du palmarès jusqu’à maintenant.
Pour le sondage annuel, Léger-National capte quelques indicateurs comme le rendement financier de l’entreprise, la responsabilisation environnementale, la qualité des produits et services et le service à la communauté. Le groupe de mesure ne sait pas vraiment comment les valeurs patriotiques et nationales peuvent influer sur la perception et la réputation d’une entreprise. Canadian Tire, classé 3e, bénéficie sûrement du nationalisme canadien intrinsèquement lié à la marque.
Cependant, l’histoire récente de Tim Hortons diffère totalement. Depuis l’arrivée de Restaurant Brands International (RBI) en 2014, l’entreprise vit une métamorphose invraisemblable. La Brésilienne 3G Capital et le milliardaire américain Warren Buffett sont derrière la fusion de Burger King et Tim Hortons, qui a mené à la création de RBI, une société de portefeuille spécialisé en restauration rapide qui possède aussi Popeyes. L’entreprise, basée à Oakville en Ontario, emploie 450 000 employés, opère plus de 19 000 succursales et génère 23 milliards $ de vente dans le monde. Cette mégaentreprise a choisi de s’établir au Canada pour profiter d’un taux d’imposition favorable.
Cependant, l’arrivée de RBI a déclenché une guerre ouverte entre la maison-mère et les franchisés de Tim Hortons. Afin de mieux servir ses actionnaires, RBI a modifié son menu, sa structure de royauté et augmenté le coût de plusieurs produits connexes que les franchisés doivent absorber. La plupart des cadres ne sont pas canadiens ou possèdent peu ou pas d’expérience dans la gestion d’un restaurant, l’agenda favorisait l’efficacité sans contredit. Pendant que l’action de RBI atteignait de nouveaux sommets, plusieurs opérateurs de restaurants écopaient financièrement. Le franchisé moyen chez Tim Hortons possède trois restaurants, tandis que pour Burger King, il peut regrouper 150 établissements, un contraste énorme. RBI gère la division Tim Hortons comme Burger King et Popeyes. Pendant plusieurs mois, le mécontentement des franchisés devenait de plus en plus palpable.
Mais cette année la chicane s’étale au grand jour avec l’histoire entourant la hausse du salaire minimum. Des médias ont relaté que certains employés chez Tim Hortons devaient payer leur uniforme et diminuer leur temps de pause à cause du salaire minimum plus élevé. Pendant que les autres chaînes de restauration s’adaptaient, Tim Hortons devenait la cible de groupes des droits au travail. Depuis octobre, les ventes chez Tim Hortons en arrachent et l’action de RBI chute de manière vertigineuse. Elle se négocie autour de 70$ dollars, une baisse de plus de 20% depuis le sommet d’octobre. Pour redorer son image, Tim Hortons annonçait récemment que l’ensemble de ses restaurants subirait des transformations pour arborer une allure plus moderne d’ici quatre ans. Le hic, les franchisés devront payer 450 000$ par restaurant. Pour le franchisé moyen qui possède trois restaurants, de grosses sommes d’argent sont en jeu. En fait, RBI envoie un message clair à ses franchisés: payez, ou vendez à quelqu’un d’autre avec qui RBI s’entendra mieux. Belle stratégie, qui n’a bien sûr rien à voir avec ce que l’on connaît de Tim Hortons depuis plus de 50 ans.
Somme toute, Tim Hortons n’est plus vraiment une entreprise canadienne et elle s’assume comme une division faisant partie d’une multinationale. Depuis quatre ans, la bisbille régnait chez Tim Hortons au vu et au su des observateurs du marché. Certaines rumeurs supposent que RBI déménagera ses opérations principales aux États-Unis d’ici quelques années, dans le but de profiter d’un taux d’imposition réduit.
Le sondage Léger-National nous confirme que les Canadiens réalisent eux aussi que Tim Hortons a changé. L’entreprise devient quelque chose d’autre et la perte de son identité nationale porte les Canadiens à s’en éloigner peu à peu. Il y a donc fort à parier que lorsque Tim Hortons déménagera aux États-Unis, les Canadiens vont s’en foutre éperdument. D’ailleurs RBI souhaite probablement «divorcer des racines canadiennes de Tim Hortons», ni plus ni moins.