UN REVERS DIFFICILE À AVALER
DÉCISION COMEAU DE LA COUR SUPRÊME
Si la bataille juridique pour la libre circulation de l’alcool s’est soldée par une défaite, le camp Comeau se félicite d’avoir lancé un débat national sur le commerce interprovincial
Le téléphone de Gérard Comeau ne dérougit pas depuis jeudi matin. La cause du retraité de Tracadie a retenu l’attention dans tout le pays.
Certains observateurs avançaient qu’une décision de la Cour suprême en sa faveur aurait pu changer la nature de la fédération canadienne et faire tomber les obstacles au commerce entre les provinces. Il n’en sera rien finalement.
Interrogé par l’Acadie Nouvelle, Gérard Comeau dit ne pas comprendre la décision du plus haut tribunal du pays.
«Ça ne fait pas de sens. La Constitution prévoit qu’on puisse magasiner partout au pays, qu’il faut respecter les libertés individuelles. Il y a bien une contradiction quelque part. Mais bon je ne vais pas m’arrêter de vivre pour ça!»
Point positif, il n’aura pas à payer sa contravention 300$, même si la cargaison de 14 caisses confisquée ne lui sera pas rendue.
La décision de la Cour suprême l’empêchera-t-il d’aller acheter sa boisson dans la province voisine? Gérard Comeau préfère répondre par la blague.
«Peut-être que non, peut-être que oui, ça dépendra de la saison... et de ma soif!»
Me Mikaël Bernard, l’avocat de M. Comeau, dit que la déception est à la hauteur des espoirs qu’avait suscités cette cause.
«Après six ans et des heures de travail, nous sommes très déçus, mais on n’a pas d’autre choix que d’accepter et de respecter la décision de la Cour suprême», réagit le juriste.
Selon lui, ces années de procédures judiciaires n’auront pas été vaines pour autant. Me Bernard souhaite que la médiatisation de l’affaire contribue à faire bouger les lignes.
«M. Comeau peut être fier du fait qu’il a déclenché une discussion à l’échelle nationale, je pense qu’il y avait un consensus parmi la population. J’espère que ça va ouvrir d’autres portes et qu’on verra des changements se faire par l’entremise de nos politiciens. La discussion qui a été entamée est un pas dans la bonne direction.»
VERS UN ASSOUPLISSEMENT?
Roger Melanson, ministre responsable de la Politique d’expansion du commerce prend acte du choix de la Cour suprême de maintenir le statu quo.
«Le jugement confirme que les gouvernements provinciaux ont le droit de réglementer et d’assurer la gestion de l’offre», dit-il.
Malgré tout, Roger Melanson reconnaît qu’il est temps de moderniser la réglementation qui encadre l’importation d’alcool d’une province à une autre.
«C’est clair qu’il faut faire évoluer les politiques commerciales en matière de produits alcoolisés, déclare-t-il. Les consommateurs le demandent et le dossier Comeau a permis d’avoir une discussion sur le sujet.»
Un comité de travail national se penche actuellement sur la possibilité d’éliminer certaines barrières au commerce de l’alcool. Des recommandations seront présentées dès le mois de juillet.
«Nous regardons deux choses, explique le ministre. Est-ce qu’on peut augmenter la quantité d’alcool qu’un individu peut acheter dans une autre province canadienne, et est-ce qu’on peut utiliser les nouveaux modes d’achat en ligne?»
Il ajoute que son gouvernement doit faire preuve de prudence, étant donné qu’Alcool NB rapporte chaque année près de 170 millions $ à la province.
«Alcool NB génère des revenus importants pour le gouvernement provincial qui les redistribue pour des services publics que ce soit dans le système de santé, l’éducation ou les infrastructures», rappelle M. Melanson.
À la suite du jugement, de nombreux groupes ont appelé les provinces à faire tomber les obstacles à la libre circulation des marchandises telles que l’alcool.
Martine Hébert, porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, parle d’une «occasion manquée» d’en arriver à un commerce totalement ouvert entre les provinces.
L’organisme Consumer Choice Center estime qu’un coup a été porté aux droits des consommateurs.
«L’idée d’avoir une nation et un marché est la fondation sur laquelle ce pays a été construit», argumente David Clement, directeur du Consumer Choice Center.
La Chambre de commerce du Canada a aussi partagé sa déception.
«La décision ne fera que consolider la plupart des obstacles qui entravent actuellement les échanges commerciaux au Canada, en faisant grimper le prix de revient des entreprises et en pénalisant les consommateurs canadiens.»