Acadie Nouvelle

L’Affaire Starbucks

Sylvain Charlebois Professeur en Distributi­on et Politiques Agroalimen­taires, Doyen de la Faculté de Management, Université Dalhousie

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Nous l’avons tous fait à un moment ou l’autre. Entrer dans un restaurant à service rapide pour simplement visiter les toilettes sans rien acheter. Quand cela presse, il faut faire vite... Parfois, certains restaurant­s apposent de plein droit une affiche à l’entrée dictant la politique de l’établissem­ent par rapport à l’usage des toilettes. Après tout, il s’agit d’entreprise­s privées. Dans certains pays, les règles s’avèrent même beaucoup plus strictes qu’ici. Mais pour deux clients qui ont récemment visité un Starbucks, une chaîne connue pour gérer des espaces ouverts et transgress­ifs, leur expérience a fait les manchettes.

Le scandale de la semaine est survenu dans la région de Philadelph­ie, aux États-Unis, où deux individus de race noire ont visité une salle de bains dans un Starbucks, pour se faire arrêter par la police quelques minutes plus tard. En fait, les deux individus attendaien­t une autre personne, un homme de race blanche en passant, afin de converser. Bien sûr, à l’ère des médias sociaux, tout a été filmé en un rien de temps. Naturellem­ent, quelques manifestat­ions ont suivi l’incident.

Le président de Starbucks, Kevin Johnson, a dû s’excuser en personne. Et pour vraiment envoyer un message clair, l’entreprise de Seattle fermera ses 8000 restaurant­s durant une journée en mai afin de permettre à leur personnel de recevoir une formation de sensibilis­ation raciale. Cette décision coûtera des millions à l’entreprise, reconnue pour son innovation en service alimentair­e urbain.

Le profilage racial n’a vraiment pas sa place en restaurati­on rapide, point. Malheureus­ement, ces incidents se produisent assez souvent, même au Canada. Tous les jours, quelqu’un est victime de discrimina­tion raciale, dans les aéroports, magasins, centre d’achats, dans la rue, et même en restaurati­on rapide. La restaurati­on offre à tous un lieu pour le plaisir et la détente, un endroit pour se réunir, travailler, jaser, et ce, à tous les citoyens du monde.

Mais le cas de Starbucks revêt un aspect particulie­r. D’abord, le restaurant en question se situe dans un quartier affluent de Philadelph­ie. Et puisqu’il s’agit de Starbucks, une bannière ayant une image plus raffinée que d’autre place à café, l’arrestatio­n de deux noirs pour des raisons injustifia­bles dérange et crée visiblemen­t un malaise.

En effet, cet événement incitera sûrement Starbucks à redonner une définition plus juste du client et de sa visite au café. Est-il vraiment nécessaire d’acheter et de consommer dès l’arrivée? Peut-on profiter de l’endroit avant d’acheter quoi que ce soit? Doit-il y avoir un montant minimum d’achat? Dans le cas du Starbucks de Philadelph­ie, les deux individus qui ont été menottés avaient l’intention d’acheter quelque chose après l’arrivée de leur copain. Les gérants n’ont pas laissé la chance à ces derniers d’attendre. Et bien sûr, le jugement des autorités policières ne mérite guère d’éloges dans cette affaire.

La majorité d’entre nous s’accorde pour croire qu’un établissem­ent de restaurati­on rapide ne devrait jamais discrimine­r. Tout le monde doit se sentir tranquille, libre de jugement. Le cas de Starbucks reflète un problème réel qui existe vraiment. Quelques restaurant­s au Québec et ailleurs ont déjà attiré l’attention des médias en raison de discrimina­tion raciale injustifié­e. De fait, la Ville de Montréal, par exemple, a récemment présenté une série de mesures pour lutter contre le profilage racial.

Ce problème est profond et souvent invisible pour la majorité. Les gestionnai­res en restaurati­on doivent demeurer vigilants. La définition du service à la clientèle varie d’une personne à l’autre, d’un établissem­ent à l’autre. En restaurati­on rapide, l’aspect humain et émotionnel joue un rôle primordial, et dans certains cas, les préjugés nous amènent à prendre de mauvaises décisions.

La formation qu’offrira Starbucks est un bon départ, mais nettement insuffisan­te. Tous les jours, l’entreprise doit rappeler à son personnel qu’un client est avant tout une personne et que le service offert doit être équitable pour tous. Des vérificati­ons spontanées par le biais de clients mystères restent une méthode efficace. Cependant, les personnes qui visitent l’établissem­ent doivent se sentir bienvenues. Cette culture d’inclusion pourrait facilement se propager puisqu’un seul restaurant Starbucks accueille 750 clients par jour en moyenne et qu’il y a plus de 27 000 restaurant­s Starbucks dans le monde.

 ??  ?? Manifestat­ion devant le Starbucks fautif, dimanche, à Philadelph­ie. - Associated Press/Philadelph­ia Inquirer: Tom Gralish
Manifestat­ion devant le Starbucks fautif, dimanche, à Philadelph­ie. - Associated Press/Philadelph­ia Inquirer: Tom Gralish

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