UNE SAISON DE MISÈRE
Les craintes de plusieurs acériculteurs exprimées en début de saison se sont révélées exactes. La récolte 2018 a été maigre, pour ne pas dire désastreuse. Ceux-ci espèrent maintenant qu’il ne s’agit que d’une mauvaise saison, et non du début d’un cycle de quelques années.
Un hiver très froid, un printemps tardif et un redoux aussi important que soudain des températures sont autant de facteurs qui auront rendu la saison de la récolte d’eau d’érable aussi éphémère que non productive.
Dans l’ensemble, les acériculteurs de la province n’avaient pas connu une véritable «mauvaise» saison depuis une bonne dizaine d’années. Mais la réalité les a rattrapés de plein fouet cette fois. Les chiffres sont encore préliminaires, mais on estime que les producteurs n’auraient atteint que 25% à 40% de leur rendement de 2017.
Président de l’Association acéricole du Nouveau-Brunswick et lui-même producteur (érablière Four Best Management au Madawaska), Éric Caron bouillait encore de l’eau d’érable lundi. Selon son propre aveu, il est une exception à la règle.
«Je dois être l’un des derniers – sinon le dernier – à bouillir encore à cette période. La très grande majorité des producteurs à qui j’ai parlé ont fermé les robinets la semaine dernière», exprime-t-il, estimant tout de même à 17 le nombre de jours de production perdus ce printemps... l’équivalent d’une éternité dans cette industrie saisonnière.
L’an dernier, la moyenne provinciale du rendement à l’entaille était d’environ 3,5 livres par entaille. Le président de l’association croit qu’il risque cette fois davantage de se situer entre 1,5 et 2 livres. Encore là, celui-ci est privilégié. Selon les données qu’il a pu observer à son érablière, il prévoit que le rendement cette saison tournera aux alentours de 4 livres de sirop par entailles, peutêtre légèrement plus. Le désastre devrait donc être évité chez lui, ce qui ne sera pas le cas pour tout le monde.
«S’il y a des producteurs qui, comme moi, s’en tireront, il y en a beaucoup d’autres qui n’auront réussi que 1,5 à 2,5 livres. C’est trop peu pour couvrir leurs frais de production», dit-il.
Plusieurs producteurs risquent ainsi d’avoir de la difficulté à s’acquitter de leurs obligations auprès de leurs institutions financières.
INVESTISSEMENTS RETARDÉS
À l’érablière Four Best Management, on croit produire cette année 350 barils de sirop, soit l’équivalent de 4 livres par entailles. Ce rendement en soi n’est pas si mauvais, mais il ne sera tout de même pas sans conséquence pour l’entrepreneur qui comptait réinvestir et prendre de l’expansion.
«On songeait à développer 20 000 nouvelles entailles cette année. On va probablement le réduire ce nombre de moitié, voire même l’annuler complètement et repousser le tout à une date ultérieure», estime Éric Caron.
Il n’est pas le seul à avoir connu une saison difficile. À Kedgwick, Éric Gagnon a lui aussi connu une saison de misère. Il estime avoir fait le tiers de la production de l’année dernière. «L’eau était très sucrée, mais le volume n’était tout simplement pas là», raconte-t-il.
Cette disette survient alors qu’il venait de s’acheter une toute nouvelle bouilloire.
«Ça n’arrive pas à un bon moment pour nous, mais aussi pour de nombreux autres acériculteurs. Plusieurs comptaient sur une bonne année pour moderniser leur équipement, question de respecter les nouvelles lois californiennes», explique l’acériculteur.
Cette loi prévoit en effet que, d’ici 2021, le sirop ne devra plus contenir de traces de plombs. Mais on retrouve encore beaucoup de matériel au plomb dans les érablières du Nouveau-Brunswick, surtout les plus vieilles.
«Ça représente des investissements importants, et une saison comme celle-ci vient ralentir la modernisation, en tous cas chez nous», exprime-t-il. Lui qui songeait à remplacer 2000 entailles cette année. Il en fera probablement seulement la moitié.
Malgré cette saison désastreuse, le président de l’AANB croit qu’il ne faut pas pour autant céder à la panique. Selon lui, l’acériculture fonctionne par cycle et cette année, c’était le retour du balancier.
«On vient de connaître plusieurs années de bonnes productions. C’est normal d’avoir une saison un peu moins productive de temps à autre. Cela dit, il ne faudrait pas que ça perdure deux ou trois autres saisons en ligne, car là ce pourrait être très dommageable pour l’industrie», croit M. Caron.