Un chien de garde avec ou sans dents?
L’annonce de la démission de la commissaire aux langues officielles du N.-B. Katherine d’Entremont, deux années avant la fin de son mandat, est une déception. C’est aussi l’occasion pour le prochain gouvernement de démontrer quelle importance réelle il accorde à ce dossier.
Katherine d’Entremont a été nommée par le premier ministre David Alward en 2013 pour un mandat de sept ans, à la suite de la recommandation d’un comité non partisan. Elle avait succédé à Michel Carrier (en poste de 2003 à 2013), lequel avait été choisi par Bernard Lord dans le cadre de la refonte de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.
C’est donc dire que les deux premiers commissaires aux langues officielles de l’histoire de la province ont été choisis par des premiers ministres progressistes-conservateurs.
Ceux-ci ont montré un grand sens du devoir en misant chacun leur tour sur un candidat qui n’avait pas peur de se tenir debout devant des politiciens qui considèrent parfois qu’une province avec deux langues officielles n’est pas un atout mais un mal plus ou moins nécessaire.
La force de caractère de la commissaire d’Entremont a particulièrement été testée au cours des dernières années.
Année après année, ses rapports ont dérangé nos dirigeants. Elle a rappelé, par le choix de ses enquêtes et par ses recommandations, que plus d’un demi-siècle après l’adoption de la Loi sur les langues officielles du N.-B. par le gouvernement de Louis J. Robichaud, le français et l’anglais ne sont toujours pas égaux dans notre province, quoi qu’en dise la législation.
2015 a été particulièrement difficile pour le commissariat. Le gouvernement Gallant l’a critiqué injustement. Des députés de l’opposition officielle ne se sont pas gênés pour réclamer son congédiement de même que l’abolition de son poste.
Le premier ministre Brian Gallant avait remis en doute son jugement et avait soutenu que Mme d’Entremont utiliserait mieux son temps si elle se contentait de «promouvoir les aspects positifs» du bilinguisme.
Cette dernière phrase est préoccupante. Si personne ne croit que M. Gallant n’abolira le poste, comme le rêvent certains députés conservateurs, il est à craindre qu’il pourrait le dénaturer en embauchant quelqu’un qui privilégiera la promotion du bilinguisme au détriment de véritables enquêtes.
Le gouvernement a déjà confirmé qu’un commissaire par intérim sera nommé en juillet. Le véritable commissaire, par contre, doit être nommé par le cabinet sur recommandation de l’Assemblée législative, après consultation avec le chef de l’opposition. Il devra donc y avoir un vote de la législature, ce qui nous amène après les élections de septembre.
Si le prochain premier ministre (Brian Gallant ou Blaine Higgs, selon toute vraisemblance) cherche quelqu’un à son goût, il n’aura pas besoin d’aller bien loin pour trouver une source d’inspiration. C’est ce que Justin Trudeau a fait, et deux fois plutôt qu’une, quand est venu le moment de nommer un commissaire aux langues officielles du Canada.
Il a d’abord choisi Madeleine Meilleur, dont la sincérité et la force de son engagement à l’égard des minorités linguistiques n’a jamais fait le moindre doute, mais qui était aussi une ancienne ministre libérale en Ontario. Elle avait de plus appuyé financièrement M. Trudeau dans sa quête pour devenir chef du Parti libéral du Canada.
Face à la controverse, Madeleine Meilleur a retiré sa candidature. Justin Trudeau s’est alors tourné vers Raymond Théberge, recteur à l’Université de Moncton. Un commissaire que nous avons qualifié de «parfait pour le gouvernement», mais certainement pas pour les francophones qu’il est censé défendre.
Il entre plutôt bien dans la définition énoncée par Brian Gallant: quelqu’un qui pourra «promouvoir les aspects positifs» du bilinguisme officiel, mais sans reprendre les adeptes du statu quo à rebrousse-poil.
Qui sera le prochain commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick? Le premier ministre aura-t-il le culot de privilégier un proche, comme s’il ne s’agissait que d’une vulgaire nomination partisane?
Choisira-t-il une personne qui a passé sa carrière à ne pas faire de vagues? Ou aura-t-il la sagesse d’imiter Bernard Lord et David Alward en misant sur quelqu’un qui saura faire fi des attaques, tant dans les médias sociaux qu’à l’Assemblée législative, afin de faire respecter son mandat?
Au moment de nommer Mme d’Entremont à titre de Personnalité de l’année 2016, l’Acadie Nouvelle a souligné son courage, en précisant qu’elle n’a jamais cessé de défendre l’égalité des deux communautés linguistiques dans l’adversité «avec sérénité, aplomb et dignité».
Le gouvernement doit dénicher un successeur d’aussi grande qualité.