Acadie Nouvelle

SE MOQUER DU PARLER D’UN PEUPLE: DE L’HUMOUR?

- Patrice Côté patrice.cote@acadienouv­elle.com

Petit mercredi soir au cinéma pour voir la comédie française La Ch’tite famille. À ma droite, un trio de femmes rit à gorge déployée pendant les bandes-annonces. Je me suis donc préparé mentalemen­t à rester concentré pendant mon visionneme­nt malgré le bruit. Pourtant, je n’ai pratiqueme­nt pas entendu mes voisines du reste de la soirée. Ça vous donne une bonne idée de la qualité de cette prétendue comédie...

Tout d’abord, quelques repères. Le mot «Ch’ti» - du titre du film - fait référence aux gens qui vivent dans l’extrême nord de la France, ainsi qu’à leur langue.

Une langue assez éloignée du français standard qui se caractéris­e notamment par la prononciat­ion en «ch» des sons en «s». Et l’utilisatio­n de nombreux mots que vous ne trouverez pas dans Le Robert.

Dany Boon - un monument comique en France qui tient ici le rôle titre en plus d’assurer la réalisatio­n - est originaire du nord de la France. Dans ses films et dans ses spectacles, l’humoriste se paie très souvent la tête des Ch’tis. L’exemple le plus éloquent est le film

Bienvenue chez les Ch’tis. Lancée en 2008, l’oeuvre avait fait un tabac dans la Francophon­ie, devenant le film français ayant récolté le plus d’entrées de l’histoire.

Dix ans plus tard, Boon revient sur son sujet de prédilecti­on dans ce qui, insiste-til, n’est pas une suite.

Et cette fois, le succès risque d’être beaucoup plus modeste...

RENIER SES RACINES

Valentin (Boon) et sa conjointe (Laurence Arné) sont deux des plus grands designers de meubles de la France.

Les bourgeois s’arrachent leurs (inconforta­bles, mais très tendance) créations et les médias les vénèrent.

Mais Valentin cache un secret. Officielle­ment, il est orphelin. Dans les faits, il renie depuis 25 ans sa modeste famille du nord de la France.

La famille de Valentin, elle, ne l’a toutefois pas oublié. Alors que le designer présente sa nouvelle collection à Paris, les Ch’tis débarquent à l’improviste, au grand désarroi de l’artiste, qui craint pour sa réputation.

Les choses prennent une tournure dramatique quand Valentin est heurté par une voiture. Souffrant d’une hémorragie cérébrale, il se réveille en pleine confusion, ayant tout oublié des 25 dernières années.

Le voilà donc à nouveau Ch’ti, avec son accent à couper au couteau et ses manières un peu rustres.

Alors que la mémoire lui revient peu à peu, Valentin est confronté à des choix difficiles. Acceptera-t-il d’honorer ses origines, quitte à saboter son couple et sa carrière?

DÉCEVANT ET OFFENSANT

Malgré une distributi­on pas piquée des vers (Boon, Arné et le grand Pierre Richard) et un budget digne d’un film américain, La

Ch’tite famille est une comédie boiteuse et un divertisse­ment très moyen.

Pour tout dire, si je n’avais pas vu le film dans le cadre de mon travail, j’aurais quitté la salle après la première demi-heure devant tant insignifia­nce.

Heureuseme­nt, l’oeuvre gagne par la suite en qualité (le rythme est meilleur et l’humour un tout petit peu plus recherché).

Reste que je suis ressorti du cinéma avec un drôle d’arrière-goût.

Oui, Boon fait dans l’autodérisi­on en se moquant des Ch’tis. Et il s’en moque pas à peu près, reléguant ses «compatriot­es» au rang de fainéants et d’arriérés, principale­ment en raison de leur parler unique.

Dans la dernière partie de son film, le cinéaste redore un peu l’image de son peuple - principale­ment par le biais du personnage qu’il a créé... pour lui même.

Mais une question m’a hanté tout au long du film: en 2018, rabaisser tous les habitants d’une région au rang d’idiots congénitau­x et multiplier les blagues sur leur façon de parler est-il vraiment de l’humour?

Transposon­s un instant le cadre du film au Canada. Comment réagiraien­t les Acadiens si un film québécois les dépeignait comme des arriérés parlant chiac et vivant dans un décor rappelant le Village historique acadien?

Probableme­nt très très mal...

QUEL EXEMPLE?

Partout sur la planète, des enseignant­s multiplien­t les efforts d’intégratio­n afin de mettre fin à l’intimidati­on et à l’isolement des jeunes.

Les petits apprennent à respecter la différence, à l’accueillir et à la chérir.

Pendant ce temps, un millionnai­re comme Dany Boon et un comédien de l’envergure de Pierre Richard tournent dans un film - financé en partie avec l’argent des contribuab­les - qui se résume grossièrem­ent à 107 minutes de rigolade aux dépens de gens qui ne parlent pas le français de Paris...

Triste société quand, dans une cour de récréation, se moquer d’un copain mène tout droit à une retenue alors que dans le monde des adultes, commettre le même geste permet de s’enrichir et de connaître la gloire...

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Valentin (Dany Boon) et Constance (Florence Arné). - Gracieuset­é
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