SE MOQUER DU PARLER D’UN PEUPLE: DE L’HUMOUR?
Petit mercredi soir au cinéma pour voir la comédie française La Ch’tite famille. À ma droite, un trio de femmes rit à gorge déployée pendant les bandes-annonces. Je me suis donc préparé mentalement à rester concentré pendant mon visionnement malgré le bruit. Pourtant, je n’ai pratiquement pas entendu mes voisines du reste de la soirée. Ça vous donne une bonne idée de la qualité de cette prétendue comédie...
Tout d’abord, quelques repères. Le mot «Ch’ti» - du titre du film - fait référence aux gens qui vivent dans l’extrême nord de la France, ainsi qu’à leur langue.
Une langue assez éloignée du français standard qui se caractérise notamment par la prononciation en «ch» des sons en «s». Et l’utilisation de nombreux mots que vous ne trouverez pas dans Le Robert.
Dany Boon - un monument comique en France qui tient ici le rôle titre en plus d’assurer la réalisation - est originaire du nord de la France. Dans ses films et dans ses spectacles, l’humoriste se paie très souvent la tête des Ch’tis. L’exemple le plus éloquent est le film
Bienvenue chez les Ch’tis. Lancée en 2008, l’oeuvre avait fait un tabac dans la Francophonie, devenant le film français ayant récolté le plus d’entrées de l’histoire.
Dix ans plus tard, Boon revient sur son sujet de prédilection dans ce qui, insiste-til, n’est pas une suite.
Et cette fois, le succès risque d’être beaucoup plus modeste...
RENIER SES RACINES
Valentin (Boon) et sa conjointe (Laurence Arné) sont deux des plus grands designers de meubles de la France.
Les bourgeois s’arrachent leurs (inconfortables, mais très tendance) créations et les médias les vénèrent.
Mais Valentin cache un secret. Officiellement, il est orphelin. Dans les faits, il renie depuis 25 ans sa modeste famille du nord de la France.
La famille de Valentin, elle, ne l’a toutefois pas oublié. Alors que le designer présente sa nouvelle collection à Paris, les Ch’tis débarquent à l’improviste, au grand désarroi de l’artiste, qui craint pour sa réputation.
Les choses prennent une tournure dramatique quand Valentin est heurté par une voiture. Souffrant d’une hémorragie cérébrale, il se réveille en pleine confusion, ayant tout oublié des 25 dernières années.
Le voilà donc à nouveau Ch’ti, avec son accent à couper au couteau et ses manières un peu rustres.
Alors que la mémoire lui revient peu à peu, Valentin est confronté à des choix difficiles. Acceptera-t-il d’honorer ses origines, quitte à saboter son couple et sa carrière?
DÉCEVANT ET OFFENSANT
Malgré une distribution pas piquée des vers (Boon, Arné et le grand Pierre Richard) et un budget digne d’un film américain, La
Ch’tite famille est une comédie boiteuse et un divertissement très moyen.
Pour tout dire, si je n’avais pas vu le film dans le cadre de mon travail, j’aurais quitté la salle après la première demi-heure devant tant insignifiance.
Heureusement, l’oeuvre gagne par la suite en qualité (le rythme est meilleur et l’humour un tout petit peu plus recherché).
Reste que je suis ressorti du cinéma avec un drôle d’arrière-goût.
Oui, Boon fait dans l’autodérision en se moquant des Ch’tis. Et il s’en moque pas à peu près, reléguant ses «compatriotes» au rang de fainéants et d’arriérés, principalement en raison de leur parler unique.
Dans la dernière partie de son film, le cinéaste redore un peu l’image de son peuple - principalement par le biais du personnage qu’il a créé... pour lui même.
Mais une question m’a hanté tout au long du film: en 2018, rabaisser tous les habitants d’une région au rang d’idiots congénitaux et multiplier les blagues sur leur façon de parler est-il vraiment de l’humour?
Transposons un instant le cadre du film au Canada. Comment réagiraient les Acadiens si un film québécois les dépeignait comme des arriérés parlant chiac et vivant dans un décor rappelant le Village historique acadien?
Probablement très très mal...
QUEL EXEMPLE?
Partout sur la planète, des enseignants multiplient les efforts d’intégration afin de mettre fin à l’intimidation et à l’isolement des jeunes.
Les petits apprennent à respecter la différence, à l’accueillir et à la chérir.
Pendant ce temps, un millionnaire comme Dany Boon et un comédien de l’envergure de Pierre Richard tournent dans un film - financé en partie avec l’argent des contribuables - qui se résume grossièrement à 107 minutes de rigolade aux dépens de gens qui ne parlent pas le français de Paris...
Triste société quand, dans une cour de récréation, se moquer d’un copain mène tout droit à une retenue alors que dans le monde des adultes, commettre le même geste permet de s’enrichir et de connaître la gloire...