MÉDIAS SOCIAUX: DES CONSEILLERS MUSELÉS
Campbellton prêtera désormais une attention toute particulière au contenu publié par ses employés – y compris ses conseillers – sur les médias sociaux. Ne mords pas la main qui te nourrit. C’est en quelque sorte avec ce proverbe en tête que le conseil municipal de Campbellton vient de se doter d’une politique visant à encadrer l’usage, par ses employés, des Facebook, Twitter, LinkedIn et autres outils de communications numériques (ex.: blog, vlog).
En fait, la Ville désire que sa flotte cesse de commenter et d’argumenter publiquement des décisions découlant du conseil et des comités, voire même qu’ils aiment (like) ou partagent des publications relatives à la gouvernance, la gestion et aux opérations de la municipalité. Et, il va de soi, on exige d’eux qu’ils s’abstiennent de divulguer des renseignements confidentiels sur la Ville, ses clients, ses résidents et leurs collègues.
Adoptée lundi soir, cette politique stipule que «l’employeur se réserve le droit de surveiller les affichages en lignes des employés sur les médias sociaux, ainsi que de faire le suivi des affichages portés à son attention».
On peut également y lire que la mesure s’applique à tous les employés, étudiants et membres du conseil pendant et en dehors des heures normales de travail.
Les commentaires désobligeants à l’endroit de collègues peuvent désormais être perçus comme du harcèlement au travail, et les employés ayant publié des commentaires jugés inappropriés par la Ville s’exposent à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à la cessation d’emploi.
ÉVITER LES DÉBORDEMENTS
Théoriquement, en appliquant à la lettre les principes de cette politique, on pourrait imaginer qu’un employé se trouverait en situation d’infraction s’il écrivait simplement sur Facebook que ladite politique est trop stricte. Idem pour un représentant syndical qui dénoncerait des clauses ou conditions de travail, ou encore un conseiller qui exprimerait un désaccord envers une décision du conseil.
À la Ville par contre, on se défend bien de vouloir miner la liberté d’expression ou museler qui que ce soit.
De l’aveu même de la mairesse de Campbellton, Stéphanie Anglehart-Paulin, ni elle ni son personnel n’ont l’intention de jouer à la Gestapo et de scruter à la loupe chacune des publications faites par les employés et conseillers sur les médias sociaux. On sent par contre un certain désir de contrôler le message tout comme l’image de la municipalité en évitant les propos négatifs, désobligeants.
«On voulait une politique simple, légère et qui nous propose un certain encadrement quant à ce qui est acceptable de dire ou non sur les médias sociaux. On ne veut pas brimer le droit de parole de personne, mais plutôt se protéger et protéger nos employés», souligne la mairesse.
Elle ajoute que les publications négatives sur les médias sociaux ne sont pas sans conséquence, qu’elles engendrent la plupart du temps des dérapages et, ultimement, un environnement de travail malsain.
«Nos employés ne doivent pas s’attendre à ce qu’ils puissent critiquer leur employeur à leur guise sur les médias sociaux et rentrer au boulot le lendemain comme si rien n’était, sans conséquence», prévient-elle.
Cette politique a été rédigée il y a un moment déjà par la direction générale de la ville en partenariat avec son département juridique. Pourquoi la mettre en vigueur maintenant?
La récente annonce de la fermeture estivale du Centre civique de Campbellton n’y serait pas étrangère. Sur les médias sociaux, cette décision avait soulevé un certain mécontentement. Certains commentaires provenaient d’employés mêmes de la Ville de Campbellton.
«Ils doivent faire attention à ce qu’ils disent», suggère désormais la mairesse, laissant entendre que l’administration sera maintenant moins clémente.
Cela dit, on avoue que la politique est encore jeune. Certains ajustements seront possiblement nécessaires en cours de route.
«Il va falloir la tester, voir ce qui fonctionne bien et moins bien. Chose certaine, on ne veut pas commencer à jouer à la police en surveillant le moindre petit post de chacun de nos employés. On veut simplement éviter les dérapages», réitère Mme Anglehart-Paulin.
DES CONSEILLERS MUSELÉS?
Une politique de contrôle du contenu des médias sociaux, ce n’est pas du nouveau en soi. Plusieurs entreprises se sont dotées de codes déontologiques similaires pour des raisons de confidentialité, mais aussi pour contrôler leur image.
Avec la prolifération et l’omniprésence des médias sociaux, la mise en place d’une telle mesure est-elle devenue inévitable? C’est ce que croit Frédérick Dion, directeur général de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick.
Après avoir pris connaissance de la politique adoptée à sujet à Campbellton, il est persuadé que les intentions de la municipalité étaient bonnes.
Il est bien stipulé dans le libellé de la politique sur les médias sociaux de Campbellton que celle-ci s’applique autant aux employés qu’aux membres du conseil.
À la Ville, on considère en effet que le personnel – conseillers inclus – a un certain devoir de loyauté envers elle et qui devrait se traduire par l’absence de critique.
«Lorsqu’il y a une décision de prise (au conseil), un vote, tout le monde doit se rallier à la majorité du conseil. Ceux qui étaient contre ne doivent pas travailler à miner cette décision par la suite», croit la mairesse, Stéphanie Anglehart-Paulin.
Pour Frédérick Dion de l’AFMNB par contre, l’inclusion des conseillers municipaux dans cette politique est son maillon faible.
«Ça, j’avoue que c’est surprenant. C’est une première pour moi. Je ne suis pas certain qu’on peut aller là, que l’on peut exiger une telle loyauté des conseillers par l’entremise d’une politique», dit-il.
Ce qui le chicote, c’est qu’ayant été élu démocratiquement, les conseillers sont indépendants et, du coup, qu’ils ont droit à leurs opinions et de les partager.
«On s’attend, en votant pour quelqu’un, qu’il aura une liberté de parole. Et cette liberté ne se limite pas aux débats dans la salle du conseil. Être un élu vient avec certains privilèges, y compris le droit à la dissidence. Le monde municipal, c’est un lieu d’expression de la démocratie», dit-il.