OTTAWA MET L’ÉGLISE DANS UNE SITUATION INTENABLE
Près de 30 paroisses catholiques de la province devront renoncer à l’aide financière d’Ottawa pour embaucher des étudiants cet été, même si leurs demandes ont été approuvées. Une attestation sur l’avortement, qui était passée sous leur radar, en est la cause.
Il y a quelques mois, en prévision de la saison estivale 2018, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a décidé de modifier le formulaire de demande du programme Emplois d’été Canada (ECC) pour y ajouter un passage sur les droits de la personne.
Les demandeurs devaient attester que «l’emploi et le mandat principal de l’organisme» sont conformes à ces droits et aux «valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que d’autres droits», ce qui inclut notamment «les droits en matière de procréation».
Cet ajout – faisant référence par la bande à l’accès à l’avortement – n’a pas du tout été apprécié par de nombreuses communautés religieuses du pays, qui l’ont perçu comme une atteinte à leur liberté de croyance. Bon nombre d’entre elles ont choisi de ne pas cocher la case controversée ou d’amender l’attestation. Leurs demandes ont été refusées.
Dans une base de données du gouvernement fédéral, mise en ligne récemment, on constate que de nombreuses demandes de paroisses catholiques francophones du Nouveau-Brunswick ont été acceptées. On en compte au moins 27, selon nos calculs.
En gros, cela signifie que la case controversée a été cochée par ces paroisses. Cela ne plaît pas à l’archevêque de Moncton, Mgr Valéry Vienneau.
Il a demandé aux paroisses se trouvant sous sa gouverne de refuser les subventions.
En entrevue avec l’Acadie Nouvelle, Mgr Vienneau confirme avoir donné cette consigne la semaine dernière.
Il explique qu’il avait pourtant tenté d’éviter une telle situation embêtante en février en disant à ses paroisses de faire gaffe et de ne pas cocher la fameuse case. Mais il était déjà trop tard dans certains cas.
«Il y avait déjà des paroisses qui avaient rempli les formulaires et qui les avaient envoyés. Mais ils n’avaient pas lu le fine print. Comme chaque année, c’est le même monde qui remplit les demandes, ils ont juste envoyé ça comme ça», dit-il.
Il explique qu’il ne peut tout simplement pas permettre que ses paroisses acceptent des fonds tant que l’attestation reste telle quelle.
«L’attestation nous dit qu’on doit être en accord avec les positions du gouvernement sur la question, par exemple, de l’avortement. Eh bien nous, comme Église catholique, on ne peut pas être d’accord avec la question de l’avortement. (...) Ce serait hypocrite d’une part que l’on n’accepte pas l’avortement et que de l’autre côté on coche pour avoir un projet.»
DES CAS SEMBLABLES AILLEURS DANS LA PROVINCE
L’archevêque de Moncton n’est pas le seul à avoir réagi de la sorte. L’Acadie Nouvelle a découvert que les demandes de paroisses du diocèse d’Edmundston ont aussi été approuvées.
Nous avons contacté l’évêque, Mgr Claude Champagne, à qui nous avons appris la nouvelle. Après avoir fait des vérifications, il a envoyé un mémo aux paroisses concernées, vendredi, afin de leur donner une consigne à ce sujet.
«Malheureusement, il ne nous est pas possible de souscrire à cette déclaration. Je demande donc aux communautés chrétiennes qui ont obtenu une subvention de la retourner au gouvernement en rappelant que ces conditions ne sont pas acceptables pour les communautés catholiques», dit-il dans le document, dont nous avons obtenu copie.
Par courriel, Mgr Champagne affirme que «même si nous aurions bien besoin de cet argent et de ces emplois d’été dans nos communautés, la condition nous est inacceptable.»
Le diocèse de Bathurst se retrouve dans une position semblable, puisque des demandes envoyées par certaines de ses paroisses ont été acceptées par Emplois étudiants Canada.
L’évêque de Bathurst, Mgr Daniel Jodoin, rapporte qu’il avait lui aussi donné la consigne à ses curés de ne pas cocher la case controversée.
Mais le message ne s’est vraisemblablement pas rendu à tout le monde, notamment dans les quatre membres de l’unité pastorale Saints Coeurs de Jésus, dans la région de Petit-Rocher.
«C’est une secrétaire qui a fait ça. Le curé a signé, il ne savait pas que c’était pour ça. Puis ça s’est ramassé comme ça. (...) Alors là, on va en discuter dans les prochains jours», dit Mgr Jodoin.
L’histoire n’est pas tout à fait la même à Campbellton, dit-il. Dans ce cas, la demande a été acceptée par le gouvernement fédéral même si la case n’avait pas été cochée.
Lorsque l’erreur a été constatée et qu’une fonctionnaire a fait un suivi, le curé du coin a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un oubli.
«Elle a appelé le curé et le curé a dit “non, on ne va pas cocher cette case-là”, elle a dit “d’abord, vous n’aurez pas cette subvention même si elle avait peut-être été accordée”», dit Mgr Jodoin.
Dans un courriel transmis à La Presse canadienne, Emily Harris, conseillère en communication de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’oeuvre et du Travail Patty Hajdu, a déclaré que les organisations ne sont pas obligées d’appuyer les droits, mais qu’elles doivent les respecter et ne pas tenter de les enfreindre.
Elle ajoute que les églises disent qu’elles «perdent» des emplois pour les étudiants, mais qu’en fait, elles refusent activement les fonds.