L’ARTILLERIE LOURDE CONTRE LA TORDEUSE
La lutte contre la prolifération de la tordeuse du bourgeon de l’épinette bat son plein dans le nord de la province. Et celleci se fait notamment par le biais d’une campagne d’arrosage destinée à tuer les larves de cet insecte ravageur.
Il est 5h à l’aéroport de Charlo. Alors que la majorité des gens dorment, les pilotes de la Forest Protection Limited, eux, se préparent à démarrer les moteurs de leurs appareils afin d’aller arroser les forêts du secteur d’insecticides s’attaquant directement aux larves de la tordeuse du bourgeon de l’épinette.
Il y avait une demi-douzaine d’appareils mardi. Pour le reste de la semaine, ils seront près du double à effectuer ainsi l’arrosage préventif au Restigouche, dans le but d’empêcher cet insecte de s’étendre aux forêts plus à l’est et au sud de la province. Car ladite bestiole est déjà bien présente dans le Nord et ses ravages sont bien visibles.
La campagne est orchestrée par le Partenariat pour une forêt en santé, une initiative qui regroupe les gouvernements des quatre provinces de l’Atlantique ainsi que plusieurs chercheurs et joueurs de l’industrie forestière. L’objectif: prévenir l’infestation, car si cela venait à se produire, on parlerait d’un impact financier de plusieurs milliards de dollars.
La fenêtre biologique pour le plan de traitement va de la fin mai au début juillet.
La campagne a débuté la semaine dernière dans la région de Miramichi. Elle est commencée depuis quelques jours seulement au Restigouche. On prévoit que l’arrosage durera un mois.
Afin d’être le plus efficace et précis, les appareils volent à très basse altitude, c’est-à-dire à environ une centaine de pieds de la cime des arbres. Le moment optimal de la journée pour ces traitements est généralement tôt le matin et entre le début de la soirée et le coucher du soleil. La fenêtre de travail est donc très limitée.
«On procède à l’arrosage durant ces périodes parce qu’il y a généralement moins de vent. C’est très réglementé, si ça dépasse 16 km/h – et même moins –, on arrête. On n’arrose pas non plus s’il pleut. Notre campagne doit durer ici tout le mois de juin, mais en réalité, on pourrait ne sortir qu’une dizaine de jours, soit lorsque toutes les conditions favorables sont réunies», explique JP Asterino, responsable de la FPL.
PRÉVENTION
Cela fait quelques années maintenant que la tordeuse du bourgeons de l’épinette est dans le collimateur des chercheurs et des industriels forestiers des provinces de l’Est.
L’infestation a débuté au Québec vers 2006. Son arrivée dans nos forêts n’était qu’une question de temps. La question était surtout de savoir quand et à quelle vitesse la propagation allait se produire.
La réponse est venue vers 2014-2015. D’énormes essaims de papillons de nuit ont envahi certaines régions du Restigouche (notamment le centre et l’ouest) vers la fin juindébut juillet en 2016 et en 2017. Ces essaims ont contribué à la prolifération de la bestiole. Et il y a fort à parier que d’autres manifestations du genre auront lieu une fois de plus cette année.
S’il y a une bonne nouvelle, c’est que la prolifération à grande échelle de la tordeuse est cyclique, soit environ tous les 30 ans. La mauvaise, c’est qu’une période d’infestation peut durer de 10 à 15 ans.
L’infestation précédente, survenue à la fin des années 1970 et début 1980, avait été particulièrement virulente. À son maximum, on estime qu’elle a touché un total de 55 millions d’hectares de forêt, soit tout l’est du pays, de l’Ontario à Terre-Neuve.
«On ne sait pas si cette éclosion-ci sera aussi intense, mais on fait tout en notre pouvoir pour que ça n’arrive pas», indique Rob Johns, scientifique auprès de Ressources naturelles Canada.
Les produits utilisés lors des arrosages sont surtout le BTK (un insecticide biologique) et le Tebufenozide (insecticide hormonal), deux insecticides qui s’attaquent spécifiquement aux larves de la tordeuse. En tout, on prévoit arroser 225 000 hectares de forêt. C’est d’ailleurs la quatrième année qu’un tel épandage se déroule.
«Les régions qui sont traitées le sont parce qu’on y a décelé la trace de larves en grande densité. Cette année, les populations semblent s’être relativement stabilisées dans l’ouest de la province, ce qui fait qu’on se concentre davantage sur l’est où elles semblent être plus présentes», explique M. Johns.
Est-ce que les efforts de protection fonctionnent?
«Jusqu’à présent, nous voyons que la situation semble stable, les populations ne se sont pas accrus de façons substantielles. Mais l’infestation est encore très sérieuse au Québec et il se peut toujours que ça migre ici massivement. Il pourrait y avoir encore d’énormes essaims qui s’abattent sur notre territoire. On doit être très vigilant, c’est pourquoi on se concentre pour l’instant sur les points chauds du nord de la province», dit M. Johns.