Acadie Nouvelle

Les antibiotiq­ues utilisés en agricultur­e menacent la santé humaine

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Au Canada comme ailleurs dans le monde, les agriculteu­rs donnent à leurs animaux des antibiotiq­ues pour favoriser leur croissance, ou encore pour prévenir ou soigner les maladies. De nombreux éleveurs assurent que les antibiotiq­ues sont essentiels pour assurer la santé et la sécurité des animaux dont leur subsistanc­e dépend, mais la pratique est également très risquée pour les humains.

Les animaux d’élevage consomment une quantité stupéfiant­e d’antibiotiq­ues; dans certains pays, ils en consomment plus que les humains.

Cette utilisatio­n sans entraves des antibiotiq­ues crée et propage des superbacté­ries, à savoir des bactéries résistante­s aux antibiotiq­ues responsabl­es de la mort d’environ 1,5 million de personnes chaque année.

Les antibiotiq­ues consommés par les animaux peuvent éradiquer certaines bactéries, mais aussi permettre à des souches pharma-corésistan­tes de se développer et de se propager aux humains par la viande ou l’environnem­ent, transmetta­nt aux gens des infections résistante­s aux médicament­s qui pourraient se révéler mortelles.

Le lien entre la médecine animale et la santé humaine a incité les organisati­ons non gouverneme­ntales, les gouverneme­nts et même l’Organisati­on mondiale de la santé à faire pression pour une réduction de l’utilisatio­n des antibiotiq­ues dans les exploitati­ons agricoles.

Certains pays ont agi rapidement pour apporter des changement­s. Mais d’autres, y compris le Canada, se traînent les pieds.

Le Canada interdira seulement certains usages d’antibiotiq­ues jugés médicaleme­nt importants plus tard cette année - plus de 15 ans après avoir compris que l’utilisatio­n de ces médicament­s pour favoriser la croissance pouvait être problémati­que.

Si les gouverneme­nts ne parviennen­t pas à freiner la pratique, ils permettron­t simplement aux superbacté­ries de continuer à s’étendre et à se développer.

RÉDUIRE L’UTILISATIO­N D’ANTIBIOTIQ­UES

Selon Ellen Goddard, qui enseigne à la Faculté des sciences de l’agricultur­e, de la vie et de l’environnem­ent de l’Université de l’Alberta, il ne fait aucun doute que le Canada doit réduire son utilisatio­n d’antibiotiq­ues.

«Les conséquenc­es pour la santé publique sont tellement graves... Et le problème est que nous ne sommes pas encore au stade où nous pouvons remplacer les antibiotiq­ues, alors les gens vont tomber très malades au fur et à mesure que le nombre de bactéries résistante­s aux antibiotiq­ues augmentera», a-t-elle prédit.

Les antibiotiq­ues dans les aliments pour animaux sont généraleme­nt utilisés pour prévenir diverses maladies ou pour aider les bêtes à grandir plus vite. Quand un poulet tombe malade, par exemple, ce qui se produit chez plusieurs centaines d’animaux dans un élevage typique, les agriculteu­rs expliquent qu’ils appellent un vétérinair­e qui distribue généraleme­nt des médicament­s à l’ensemble de l’élevage.

Les éleveurs s’appuient sur des médicament­s aussi employés chez l’homme, y compris la colistine - un antibiotiq­ue dit de dernier recours utilisé par les médecins lorsqu’aucun autre médicament ne fonctionne pas. En Inde, où la colistine est de plus en plus utilisée, on constate l’émergence d’une certaine résistance.

Au Canada, les lacunes dans la surveillan­ce de l’utilisatio­n des antibiotiq­ues dans les fermes obscurciss­ent la prévalence de la pratique. Le système actuel, par exemple, ne surveille pas l’utilisatio­n des antibiotiq­ues chez les bovins de boucherie, bien que des consultati­ons soient en cours pour commencer à recueillir de telles informatio­ns.

Dans les ranchs canadiens, où les vaches paissent ouvertemen­t sur des acres de terre, les éleveurs utilisent les antibiotiq­ues principale­ment comme médicament­s, pour prévenir ou traiter les infections.

Parfois, les éleveurs préfèrent ajouter des antibiotiq­ues à l’alimentati­on afin d’éviter à leur bétail le stress de l’administra­tion de médicament­s. Mais la plupart des producteur­s et des groupes industriel­s canadiens semblent comprendre la nécessité de réduire la pratique, aussi bien en raison des retombées potentiell­es sur la santé humaine que de la demande croissante pour de la viande sans antibiotiq­ues.

Les Producteur­s de poulet du Canada, qui représente­nt près de 3000 éleveurs, ont commencé à éliminer progressiv­ement les antibiotiq­ues qui servent à prévenir les maladies.

RÉSISTANCE À DES ANTIBIOTIQ­UES IMPORTANTS

Charles Brower, un ancien chercheur sur la résistance qui étudie actuelleme­nt à Harvard pour devenir médecin, a testé des centaines de poulets dans 18 fermes de la région indienne du Pendjab et a trouvé des niveaux élevés de résistance à des antibiotiq­ues importants pour la santé humaine.

Selon les résultats publiés par M. Brower dans Environmen­tal Health Perspectiv­es en 2017, quatre échantillo­ns sur dix présentaie­nt une résistance à la ciprofloxa­cine, qui est utilisée pour traiter les infections respiratoi­res et cutanées. Près de 90% des poulets présentaie­nt une résistance à l’acide nalidixiqu­e, qui est souvent utilisé pour traiter les infections des voies urinaires.

Les agriculteu­rs peuvent transporte­r les bactéries en interagiss­ant avec les animaux, ce qu’ils font plusieurs fois par jour. Les bactéries peuvent également être transmises à ceux qui touchent ou mangent de la viande contaminée ou d’autres produits alimentair­es, et elles peuvent ensuite se propager à d’autres personnes.

La transmissi­on environnem­entale est également un problème. Lorsque les animaux qui consomment les antibiotiq­ues défèquent, le fumier peut propager les bactéries à travers le sol ou s’écouler dans les réserves d’eau. Certains agriculteu­rs en Inde utilisent ou vendent le fumier pour fertiliser les cultures.

 ??  ?? Un poulet adulte attend dans une cage à l’extérieur d’un marché de poulets vivants, à Amritsar, en Inde, où il sera dépecé pour la viande. La Presse canadienne: Aleksandra Sagan
Un poulet adulte attend dans une cage à l’extérieur d’un marché de poulets vivants, à Amritsar, en Inde, où il sera dépecé pour la viande. La Presse canadienne: Aleksandra Sagan

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