Acadie Nouvelle

Les 105 000 km de Marcelle et Jean-Marie Breau

Tu sais qu’un coureur ou une coureuse est célèbre quand il suffit de mentionner son prénom pour deviner de qui il s’agit. Joël, Patty, Réjean, Geneviève, Shelley, Paula, Lee et Laura sont tous de bons exemples. Sylvio et Allan, même si leurs exploits sur

- Robert.lagace@acadienouv­elle.com

Dans l’univers de la course à pied néobrunswi­ckoise, le vieux routier de Tracadie est plus connu que Barabbas dans la Passion. Comparé à lui, du moins en Acadie, même Usain peut aller se rhabiller. C’est vous dire.

Il y a quelques semaines, Jean-Marie a célébré à l’avance ses 65 ans (son anniversai­re est le 29 juillet) en complétant son 365e DemiMarath­on de l’Acadie.

Vous avez bien lu, 365 fois il a franchi les 21,1 kilomètres séparant la boutique Tissus Ronaline, à Saint-Isidore, et la piscine du Complexe S.-A.-Dionne, à Tracadie. Yves Duguay, de Hacheyvill­e, est celui qui est le plus près avec ses 162 participat­ions.

Il y a un mois, j’ai profité de sa présence au 10 km Chaleur pour planifier une rencontre chez lui à Tracadie. Je tiens aussi à ce que sa conjointe Marcelle soit présente, ne serait-ce que pour témoigner de la ténacité de cet exfumeur aux poumons encrassés qui, à l’âge du Christ, a décidé de se mettre à courir parce qu’il n’en pouvait plus voir ses bourrelets autour de la taille dans son miroir.

En passant, en marge du 30e anniversai­re du Demi-Marathon de l’Acadie, en septembre 2017, Jean-Marie m’avait résumé ses débuts d’une drôle façon: «Quand c’est rendu que tu n’es presque plus capable de te pencher pour lacer tes souliers de bottine, c’est le temps de courir».

Cette phrase mériterait de se retrouver sur l’épitaphe de sa pierre tombale tellement elle le représente bien. Parce que Jean-Marie, en plus d’empiler les kilomètres, possède également un humour particulie­r. Il n’est pas le frère aîné du conteur Dominique Breau pour rien. Et comme on m’a prévenu que Marcelle possède un rire extraordin­aire, j’ai le sentiment que ça va être un rendez-vous marquant. Je n’ai pas été déçu.

65, 365, 105 000

Chez les Breau, dès que tu mets les pieds à l’intérieur, tu sais que tu entres dans un univers à part. Une immense photo laminée de Jean-Marie, qui remonte à ses débuts comme coureur, trône d’ailleurs sur le mur menant au sous-sol.

Comme il est 16h et que Marcelle est déjà en train de préparer le souper, je me dis que j’ai intérêt à commencer l’entrevue rapidement. Nous nous installons donc à la table de la cuisine et je pars le bal.

Parce que l’envie de les rencontrer résulte de ces 365 Demi-Marathons de l’Acadie complétés à sa 65e année, je lui demande s’il a une petite idée du nombre de kilomètres que lui et Marcelle ont accumulé au fil des ans, que ce soit à l’entraîneme­nt ou en compétitio­n.

À quelques kilomètres près, ils prétendent flirter avec les 105 000 km.

Je leur demande comment ils peuvent être si convaincus de ces 105 000 km parcourus?

«Facile», que me répond Jean-Marie avant de se tourner vers sa douce moitié.

«Marcelle, va me chercher les calendrier­s que je lui montre!»

Le temps de le dire la voilà qui arrive avec 32 calendrier­s.

Comme vous, j’ai peur de comprendre. Et je vous le confirme, Jean-Marie a noté la distance de chacune de ses sorties de course dans chaque case de chaque mois dans les calendrier­s des 32 dernières années. Je n’en reviens pas encore. Et bien sûr, Marcelle a fait la même chose de son côté.

Pour vous donner une petite idée de ce qu’ils ont accompli sur leurs deux jambes, ces 105 000 km représente­nt l’équivalent de 2488 marathons, ou encore 10 fois l’aller-retour Tracadie-Vancouver. J’ai même poussé mes recherches jusqu’à calculer qu’il faudrait relier l’une à l’autre plus de 4,13 milliards d’espadrille­s de taille 10 pouces pour couvrir la distance parcourue par ces deux coureurs compulsifs. Bref, amplement de temps pour chanter des trillions de fois le fameux vers d’oreille «Un mille à pied, ça use ça use; un mille à pied, ça use les souliers...»

Cela dit, je me dois d’être franc, j’ai un court instant hésité entre les trouver très bizarre ou encore plonger dans l’émerveille­ment. J’ai choisi la deuxième option. Non, mais avez-vous une idée de la discipline que ça demande de nourrir chacun de leur côté, et ce pendant 31 ans, un journal intime de course?

Pour rigoler, je dis à Marcelle qu’ils ont couru à eux deux pratiqueme­nt autant que la durée de vie d’une auto. Jean-Marie, pincesans-rire, réplique aussitôt que ça dépend de la marque de l’auto. Et voilà Marcelle qui s’esclaffe une première fois. Elle n’a pas aussitôt retrouvé ses esprits que je lui fais la remarque que la garantie est toutefois finie. Et la voilà relancée pour une autre série de «hihihi». Il faudrait vraiment commercial­iser ce rire tellement il incite à la bonne humeur.

Profitant d’un moment d’accalmie, je demande à Marcelle si elle avait les mêmes problèmes que Jean-Marie quand elle a commencé à courir, soit une dépendance à la nicotine et quelques kilos en trop.

«Pas du tout. Je pesais 115 livres quand j’ai gradué en 12e année. Je me suis mariée, j’ai eu deux enfants (Stéphanie et Caroline) et je pesais toujours 115 livres. Puis là, j’ai 64 ans et je suis encore à 115 livres», me dit-elle fièrement, tout en fixant Jean-Marie qui confirme le tout.

- Ça ne se peut pas, lui dis-je. Il doit y avoir quelqu’un qui vous a oublié quelque part. Autres éclats de rire.

Mais revenons à Jean-Marie. Il dit avoir eu le béguin pour la course dès la première fois. Quand même drôle que ce camionneur aujourd’hui à la retraite, après des milliers et des milliers de kilomètres à trimballer des trucs à bord de son camion, continue de sillonner les routes asphaltées sur deux jambes.

«J’ai tellement aimé ça que je ne pouvais déjà plus m’enlever de l’idée que j’arrêterais un jour. Ça me faisait beaucoup trop de bien de courir.»

- C’est devenu une obsession?, que je le questionne.

«Oui», réplique-t-il sans hésiter.

À ses côtés, Marcelle n’est pas tout à fait d’accord. Je l’invite à m’en faire part.

«Moi je ne dirais pas que c’est une obsession. Je dirais que c’est plutôt quelque chose de naturel. Pour nous, allez courir, ça fait simplement partie de notre vie», justifie-t-elle.

- Vous arrive-t-il de penser qu’un bon jour vous ne pourrez plus pratiquer votre passion?

«Oui, j’y pense parfois, admet Jean-Marie. Je touche du bois afin que je puisse courir le plus longtemps possible. Je regarde des gars comme Phil (Booker) et Raymond (Caissie) qui ont plus de 70 ans et qui courent encore très bien. J’aimerais courir au moins jusqu’à 80 ou 85 ans.»

Par l’expression du visage de Marcelle, je devine aisément qu’elle souhaite aussi la même chose pour elle.

BOSTON

Comme il dépasse déjà 17h et que le repas semble arriver cuit, je demande à voir leurs souvenirs afin de les libérer le plus rapidement de ma présence. Nous débutons par le salon, où sont entreposés la plupart des trophées et des médailles de Marcelle. J’y vois d’abord une étagère sur laquelle on peut zieuter de magnifique trophées et figurines.

Puis, sur le beau piano au fond de la pièce, trois certificat­s brillent de tout leur éclat accompagné­s d’autant de médailles. Ce sont là les preuves de ses trois participat­ions au Marathon de Boston. On y voit aussi une banderole réalisée par les élèves de l’école La Ruche, où Marcelle travaille depuis déjà 43 ans en tant que secrétaire-réceptionn­iste.

Innocemmen­t, je demande à Jean-Marie où sont ses médailles de Boston. À ma grande surprise, Marcelle éclate de rire.

«J’en ai pas pantoute!», finit-il par lâcher avec un brin de découragem­ent dans la voix.

Et Marcelle qui n’arrête pas de rire. À l’évidence, le sympathiqu­e moustachu s’est déjà fait taquiner à ce sujet.

- Vraiment? Vous n’avez jamais fait Boston?, trop content de contribuer à l’hilarité de Marcelle.

«Là, t’es en train de tourner le couteau dans la plaie», me balance-t-il devant une Marcelle qui ne se peut plus.

«Pour vrai, je me suis déjà qualifié pour Boston. C’était en 1995. Malheureus­ement, à cause du travail et aussi parce que ça ne me semblait pas si important, je n’y suis pas allé. Je le regrette aujourd’hui parce que j’aimerais beaucoup avoir une médaille de Boston. J’ai même offert à Marcelle 50 de mes médailles pour qu’elle me donne l’une des siennes et elle n’a pas voulu. En tout cas, je n’ai pas été capable de me qualifier depuis. Elle, elle y parvient comme si c’était rien. Tu lui demandes demain matin de courir un 42,2 km et elle va se qualifier. Je ne sais pas comment elle fait, mais moi je ne peux pas», se plaint-il.

Pauvre Jean-Marie. ■

 ??  ?? Marcelle Breau a pris part à trois reprises au Marathon de Boston. À son grand désespoir, Jean-Marie, lui, tente toujours de se qualifier. - Acadie Nouvelle: Robert Lagacé
Marcelle Breau a pris part à trois reprises au Marathon de Boston. À son grand désespoir, Jean-Marie, lui, tente toujours de se qualifier. - Acadie Nouvelle: Robert Lagacé
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