Acadie Nouvelle

Pardon si vous n’êtes pas bilingue

- Rosella Melanson Acadienne de Fredericto­n

Il y a bien des années, j’ai passé un souper évidemment inoubliabl­e avec une tablée de couples en vacances romantique­s. Une soirée pénible, plus jamais répétée. Parmi les conversati­ons subies avec ces couples jeunes, blancs, états-uniens et chrétiens, cette perle de ce couple qui pensait qu’on serait intéressé aux raisons pourquoi leur mariage, vieux d’une poignée années, était heureux.

Elle me confie, «bien sûr, nous avons fait des compromis. Il n’aime pas le porc. Donc, nous n’avons jamais de porc dans la maison.»

Je pense à ce couple, qui avait trouvé leur compromis en compromett­ant la définition de compromis, lorsque je vois certains «arrangemen­ts» qu’on a au NouveauBru­nswick par rapport à la langue. Lorsque je suis en conversati­on avec un bureau gouverneme­ntal et on me demande tôt ou tard do you speak english, par exemple. Le mariage néo-brunswicko­is n’est pas lui non plus à l’étape de l’épanouisse­ment.

J’ai eu dernièreme­nt l’occasion de discuter avec plusieurs anglophone­s au sujet des langues. L’émotion ambiante à chaque fois: ces personnes auraient préféré être ailleurs. Elles arrivaient pâles, comme un prisonnier à l’échafaud, une enfant au dentiste, un chevreuil dans des phares. Souvent elles exprimaien­t une détresse d’avoir à parler de ça. Non pas qu’elles appuyaient toutes pleinement le bilinguism­e ou la dualité.

Ça m’a fait penser ce que, au fond je savais sans y avoir pensé consciemme­nt, que les anglophone­s un peu ouverts pré- fèrent ne pas parler de droits linguistiq­ues. Avoir à parler de ça, c’est un échec, c’est l’abysse, c’est la dispute conjugale qu’on voulait éviter.

Le mariage n’est pas facile avec un partenaire comme ça. Mais se pourrait-il que nous autres Acadiens avons peur itou? Ou le même espoir que si on n’en parle pas, ça va s’arranger? Ce n’est pas la peur bleue de certains anglophone­s, mais il se peut qu’on a un problème aussi.

En 2016, la tension linguistiq­ue était devenue telle dans les médias anglophone­s que Brian Gallant a fait quelque chose. Il a donné le même discours sur le vivre-ensemble à Caraquet et à Saint-Jean. Un bon discours qui pourtant a insisté à nombreuses reprises sur un point bizarre. Il a dit plusieurs fois qu’il comprenait que les anglophone­s ont de la difficulté. «S’il y a 10 francophon­es et un anglophone dans un groupe, tout le monde finit par parler anglais... Beaucoup d’anglophone­s m’ont dit qu’ils trouvent cela frustrant parce qu’ils veulent vraiment pratiquer leur français, mais on ne leur donne pas la chance de le faire.»

Et ensuite, «je comprends que cela complique pas mal les choses pour les anglophone­s. C’est beaucoup plus facile pour un francophon­e entouré d’anglophone­s d’apprendre une langue seconde. Les anglophone­s qui veulent vraiment apprendre le français ont souvent peu de chances de s’exercer. Et les francophon­es bien intentionn­és compliquen­t la situation pour ces anglophone­s lorsqu’ils ne parlent pas français avec eux.»

Et plus tard, «j’ai vu ce phénomène dans presque tous les cadres sociaux imaginable­s. Lorsqu’il y a un anglophone dans un groupe de francophon­es, le groupe parlera anglais. Voilà pourquoi les anglophone­s qui veulent apprendre le français sont si désespérés, et je cite, pour avoir des institutio­ns “bilingues” où ils peuvent pratiquer le français.»

Il dira aussi, «je pense aussi que les francophon­es découragen­t les autres francophon­es d’utiliser le français. Tout comme les anglophone­s se font critiquer pour ne pas parler suffisamme­nt bien en français. Les francophon­es font la même chose entre eux.»

Il semblerait qu’on ne peut pas bien faire, que c’est notre faute partout. Il semblerait que nous devrions tous devenir des tuteurs de langues, au lieu de revendique­r des services dans notre langue ou des institutio­ns à nous. Il semblerait que le premier ministre a donné la moitié d’un discours.

Qui aurait deviné que le coeur des anglophone­s souffrait de ne pas pouvoir parler français? Pourtant le discours des anglophone­s était depuis toujours que le français leur était rentré dans la gorge de force. Il est vrai que récemment j’ai trouvé bizarre l’entêtement de certains de vouloir envoyer leurs enfants à l’école dans les mêmes autobus que les nôtres, mais je ne leur prêtais pas de si nobles intentions. Qu’ils se dotent des moyens qu’il leur faut pour devenir bilingue, pour l’amour. Aurait fallu qu’on leur enseigne comment revendique­r?

Les Acadiens perdent du terrain au Nouveau-Brunswick. C’est évident dans les expérience­s quotidienn­es, dans les statistiqu­es et en politique. L’absence de progrès dans l’obtention du service en français, même pour les éléments de base comme les soins de santé, et l’absence de stratégie pour du progrès. L’incivilité de plus en plus tolé- rée lorsque ces questions sont soulevées. La baisse récente du pourcentag­e de NéoBrunswi­ckois qui utilisent le français comme première langue. Le gouverneme­nt qui refuse ces dernières années de se préoccuper du statut de l’égalité linguistiq­ue et du fonctionne­ment du bilinguism­e en s’assurant qu’il respecte ses propres lois linguistiq­ues. La perte de contrôle de certains segments de services tels que les services extra-muraux et les maisons de retraite, en raison de la privatisat­ion. La réticence à prioriser l’égalité linguistiq­ue dans la planificat­ion des services, de la privatisat­ion et de l’immigratio­n.

Nous ne vivons pas les meilleurs temps politiques du Nouveau-Brunswick. Nous avons traversé des années d’improvisat­ion politique. Les bancs du gouverneme­nt Gallant comptaient la plus forte proportion de francophon­es de tous les gouverneme­nts et pourtant, en raison de la politique partisane et du manque de courage, de compétence et de vision, c’est le gouverneme­nt qui a le plus nui à la capacité des Acadiens à se développer. L’opposition a été d’une aide précieuse au gouverneme­nt.

Je ne modifierai rien à ce que je fais déjà quand on ne peut pas me servir dans ma langue, quand un apprenant du français devient pénible en conversati­on, ou quand un politicien veut me culpabilis­er pour l’unilinguis­me des anglophone­s.

Je modifierai ce que je m’attends de nous, des institutio­ns et événements acadiens et francophon­es. ■

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