Appropriation?
Je vous dis assez souvent, chers lecteurs et chères lectrices, que notre monde marche sur la tête et que le gros bon sens semble nous avoir abandonnés pour de bon.
Depuis quelque temps, c’est toute la question de l’appropriation culturelle qui me met les nerfs à fleur de peau. Vous le savez sans doute, ce fléau vient de culminer avec l’annulation de la dernière pièce de théâtre de Robert Lepage à Montréal.
D’abord, le terme «appropriation culturelle» m’insupporte tant il me semble être un non-sens. Je suis de celles qui pensent que la culture appartient à tout le monde et que même lorsqu’on entend le mot «culture» comme l’expression d’une société précise, il n’est pas illégal ou condamnable de la partager. Comment espérer se comprendre et s’apprécier sans ça?
Le terme lui-même comprend le mot «appropriation» qui signifie prendre quelque chose qui n’est pas à soi et prétendre qu’il l’est, ce qui implique donc usage de la force et malhonnêteté.
Si certains «partages» sont de bien mauvais goût et intellectuellement déplorables, les poupées autochtones faites à la chaîne et n’importe comment en Chine, par exemple, ou l’usage d’un groupe ethnique sans son consentement pour vendre des crèmes solaires ou des bonbons, comment peut-on parler d’appropriation culturelle dans l’expression artistique?
Si on impose qu’au théâtre seuls les noirs incarnent des personnages issus de l’esclavage, que seuls des autochtones jouent des rôles d’Indiens dans les films, on marche sur la tête!
Imaginons qu’on adopte les mêmes principes rigoristes en Acadie. Les pièces d’Antonine Maillet ne pourraient être jouées que par des acteurs et actrices de l’Acadie, aucune production télévisuelle québécoise ne pourrait se situer en Acadie, et aucune troupe théâtrale acadienne ne pourrait mettre à son programme du Michel Tremblay ou du Shakespeare. En fait, depuis le temps que le Québec s’approprie nos artistes, on aurait de quoi lancer un recours collectif!
Sous l’appropriation culturelle se cachent en fait – et c’est ça qui me dérange tellement – une étroite (très étroite!) rectitude politique, une intolérance outrée, un goût dérangeant pour la censure et, en fin de ligne, une bêtise sans bornes. Ça fait beaucoup! ■