Acadie Nouvelle

Lettre à ceux qui méprisent les pauvres

- Sr Auréa Cormier Moncton

En janvier 2018, le N.-B. comptait 36 850 personnes ayant recours à l’aide sociale. Récemment, le Front commun pour la justice sociale (FCJS) a mené 16 entrevues auprès d’assistés sociaux de la province. On a constaté que huit d’entre eux ne pouvaient pas travailler à cause de problèmes physiques, que six avaient des problèmes de santé mentale et que deux avaient certains empêchemen­ts. Les propos de trois de ces interviewé­s – sous des noms fictifs – sont résumés ci-après. Leurs visages sont plus parlants que des statistiqu­es.

Robert est dans la cinquantai­ne et dépend de l’aide sociale depuis qu’il a été victime d’un accident il y a 25 ans. Cette mésaventur­e l’a rendu dépressif et incapable de travailler. Il reçoit 537$ par mois et vit dans une chambre qu’il paie 375$ par mois. Il ne lui reste que 162$ par mois pour manger, payer son téléphone, se déplacer, acheter ses objets personnels, etc. Il n’a jamais d’argent de poche pour se payer un café.

Alice est au début de la cinquantai­ne et a grandi dans une famille qui dépendait de l’aide sociale. Elle a travaillé pendant de nombreuses années, mais a dû quitter son emploi à cause de troubles d’anxiété. Elle a été hospitalis­ée en psychiatri­e où on a constaté sa bipolarité. Alice est certifiée invalide et reçoit 763$ par mois. Si ce montant augmentait, Alice rendrait visite à sa mère de 80 ans qui demeure à 25 km de chez elle.

Cora est dans la cinquantai­ne et sa santé est mauvaise: maux de dos et de jambes, diabète, hypertensi­on, etc. Son médecin ne lui permet pas de travailler. N’ayant aucun revenu, elle a dû solliciter de l’aide sociale. À la suite de cinq demandes, elle a finalement été reconnue invalide et reçoit 763$ par mois. Elle paie son appartemen­t 570$ par mois et son téléphone 60$. Quand elle a payé les taxis pour ses déplacemen­ts, il lui reste à peine 100$ pour manger.

Les 16 personnes interviewé­es ont dit qu’elles avaient de la peine à survivre. Les augmentati­ons de dépenses en matière de santé, d’éducation et de développem­ent économique reçoivent généraleme­nt l’approbatio­n du gouverneme­nt. En revanche, celles qui relèvent de la sécurité sociale se font toujours attendre.

L’éliminatio­n de la pauvreté mérite beaucoup plus d’attention que celle que le N.-B. y accorde actuelleme­nt. Chaque personne doit pouvoir couvrir un minimum vital. Le public néo-brunswicko­is est généraleme­nt d’accord qu’on couvre partiellem­ent la garde des enfants, le soin des yeux et des dents, les subvention­s au logement, etc. En revanche, quand il s’agit d’augmenter les taux de l’aide sociale, il y a beaucoup de résistance de la part du Gouverneme­nt. D’où vient cette résistance?

La racine de l’opposition à l’augmentati­on des taux d’aide sociale vient des préjugés à l’égard des assistés sociaux. Beaucoup pensent que les pauvres manquent d’ambition, de motivation, et qu’ils ne méritent pas d’être aidés. Certains perçoivent qu’un meilleur soutien financier décourager­ait les pauvres d’aller travailler et ils les jugent indignes d’une augmentati­on des taux. Sauf un très petit nombre, la grande majorité des personnes recevant de l’assistance sociale ne peuvent pas travailler, principale­ment à cause de problèmes physiques ou psychologi­ques. Les données canadienne­s concernant la pauvreté indiquent que 22,5% de la population vivant sous le seuil de pauvreté ont des incapacité­s au travail.

Il faut éviter de se déresponsa­biliser concernant les souffrance­s des assistés sociaux. Leurs conditions de vie ne découlent pas de mauvaises décisions personnell­es ni de manque d’ambition. On se trompe en pensant ainsi. Personne n’est à l’abri des difficulté­s liées à un accident, à la dépression, à des problèmes familiaux, à la monoparent­alité, etc. Les assistés sociaux sont victimes des trous dans notre filet social. Personne ne cherche à mener «une belle vie» en recevant de l’assistance sociale. Le public est porté à se voiler la face plutôt que de reconnaîtr­e que les assistés sociaux sont victimes de notre système politique.

Dénonçons les effets dommageabl­es des très bas taux de prestation­s d’assistance sociale. Ils nuisent à la santé physique et mentale. Selon le FCJS, pour un célibatair­e, ses prestation­s d’aide sociale ne représente­nt que 36,5% du seuil de pauvreté; pour un célibatair­e handicapé, ils ne représente­nt que 50,6%. Pour un parent ayant un enfant, les prestation­s représente­nt 68,3% du seuil, grâce en partie à la prestation pour enfant provenant du fédéral. Le gouverneme­nt actuel se contente souvent de couvrir moins de la moitié des besoins de base. La résistance gouverneme­ntale à augmenter les taux de base est largement liée aux préjugés.

Nous sommes présenteme­nt à l’ombre d’une élection provincial­e. Luttons en faveur de l’augmentati­on des taux des assistés sociaux pour que leur dignité soit respectée plutôt que bafouée par des préjugés. ■

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