Acadie Nouvelle

L’église: imaginons la suite…

Lucie LeBouthill­ier Présidente du comité de sauvegarde de l’église de Bas-Caraquet

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Trois semaines depuis la tragédie qui a défiguré notre magnifique église, nous sommes déboussolé­s! Nous avons perdu notre clocher qui était notre point de repère sur la mer comme sur la terre. Notre communauté d’ici et d’ailleurs est en choc, en colère, en larmes et en souffrance.

Même ceux qui n’allaient plus à l’église, qui ne croyaient plus, qui il y a 5 ans étaient prêts à payer pour raser l’église sont touchés, sont affectés. Tout à coup on réalise que ce monument était aussi notre fondation comme personne, comme famille, comme communauté et comme Acadien, Acadienne. Comment faire un sens de cela et comment faire le deuil! On dit qu’un processus de deuil normal prend environ un an et que, durant cette période, ce n’est pas le moment de prendre des décisions importante­s, car nous ne sommes pas dans un état pour bien mesurer toutes les conséquenc­es.

Mais voilà, nous n’avons pas un an. Car d’après ce que l’on comprend, l’assureur du bâtiment doit approuver un projet de reconstruc­tion dans l’année suivant le sinistre et que donc, il faut faire vite pour préparer des plans d’une nouvelle église. On connaît la position de Mgr Jodoin, raser les murs toujours debout et bâtir une petite église en y incorporan­t quelques pierres ici et là. Tous sont d’accord pour reconstrui­re une église, là n’est pas la question.

La question est pourquoi – puisque le sort en a décidé pour nous – ne pas saisir l’opportunit­é qui nous est offerte pour imaginer quelque chose à notre image et à notre ressemblan­ce… quelque chose qui redynamise­ra le coeur et l’âme de notre village. Un monument qui fait église, mais qui fait aussi communauté c’est-à-dire en y incluant nos ancêtres personnifi­és par les murs solides de leur foi et forts avec la statue de Saint-Paul toujours bien campée en avant, comme pour la défendre, qui nous montrent la voie. Et, nous, avec nos besoins d’aujourd’hui dans un projet multifonct­ionnel qui inclurait une partie église et une partie communauta­ire: un endroit de rencontre et de vie pour les enfants, les jeunes, les familles, les 50+, les artistes, les chorales, les concerts, le théâtre, etc. Un coeur renouvelé de notre communauté qui la dessert au complet tant dans ses besoins spirituels que sociétaux et qui pourrait peut-être amener des gens à l’église avec ce renouveau. Permettons-nous de rêver! Combien souvent dans notre existence aurons-nous la chance de bâtir une église, le coeur et l’âme de notre village et de notre vie communauta­ire?

Ce monument patrimonia­l de 14 ans renferme l’histoire de toute notre vie religieuse et communauta­ire, de toutes nos familles: baptêmes, premières communions, confirmati­ons, mariages, funéraille­s, messes de minuits, de Pâques, de graduation­s, hommages aux pêcheurs, les chants de notre formidable chorale, la musique de l’orgue, etc. Il a fallu 14 ans à nos ancêtres pour la compléter, plusieurs années pour l’imaginer et ensuite la lancer vers le ciel en transporta­nt les pierres des carrières de Grande-Anse et de Pokeshaw sur des traîneaux tirés par des boeufs sur la glace de la baie, l’hiver, et sur des chalands tirés par des goélettes en été. N’est-ce pas là un bel exemple du pouvoir de la pensée? Ce que l’humain peut imaginer peut se réaliser.

Imaginez-vous si tous les gens d’ici et d’ailleurs qui nous appuient pensaient tous ensemble à faire quelque chose de différent, de nouveau en s’inspirant de Jésus à Saint-Pierre: «Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur ce roc je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudron­t point contre elle.»

Oui, c’est possible! Allez voir ce qui est inscrit sur la plaque au parc de l’entrée du village: «Ce lieu, établit en permanence par Gabriel Giraud dit Saint-Jean est le plus ancien lieu habité d’une manière continue par les Acadiens au Nouveau-Brunswick». Cela même nous dit que nous sommes à la hauteur de la tâche. Comme un jardinier, il faut semer une graine, l’arroser, le désherber, lui parler, l’a protéger, la chérir et elle fleurira pour le bonheur de tous.

Mais oui, mais tout ça, c’est bien beau, mais comment fait-on? Comme une fleur qu’on achète avec sa terre et son engrais, tout est dans le pot, on n’a qu’à l’arroser. Nous aussi, lorsque nous venons au monde, tout est en nous, la semence humaine et Divine. Nous sommes une des plus belles créations de l’Univers créer à l’image de Dieu. Nous avons des racines profondes, des racines familiales, des racines acadiennes, des racines ancestrale­s, des racines humaines et nous sommes tous connectés. Nous savons aussi qu’il faut s’occuper des plus faibles, des plus vulnérable­s, car nous sommes tous dans une chaîne et c’est le maillon le plus faible de la chaîne qui casse et tous en souffrent. Nous ne sommes pas seules dans ce monde, dans cette vie, dans cette communauté. On appelle aussi ça l’effet papillon, selon lequel un battement d’ailes de papillon au Brésil peut provoquer une tempête au Texas. Alors, imaginez ce que cela veut dire pour chacun de nous, de notre communauté, de l’Acadie et pour le Monde, la perte de cette église.

N’oublions jamais que nous avions en main le seul monument en pierre encore debout qui témoignait du génie architectu­ral du premier architecte acadien de Caraquet construit à la sueur des fronts et des bras de nos ancêtres, mais aussi de leur génie constructe­ur et de leur foi indestruct­ible. Réalisez-vous aussi qu’elle est toujours là dans une forme diminuée, bien sûr, comme notre vieille grand-mère à tous? Mais alors, ce n’est pas parce que notre grand-mère est décharnée, blessée, brûlée qu’il faut l’euthanasie­r… il faut l’aimer!

Alors, moi je dis qu’il faut plonger dans nos racines fortes et fières d’un peuple acadien toujours debout comme les murs de notre église et imaginer ensemble la suite en gardons ces murs vivants et beaux. Nous avons du courage, nous avons de la ténacité, nous avons de la fierté, nous avons de l’intelligen­ce, nous sommes vivants et dynamiques, nous avons des moyens, nous avons la foi en qui nous sommes et nous pouvons faire mieux que tout jeter à terre. Nous savons mieux que cela, nous valons mieux que cela. Il faut rebondir rapidement et s’engager dans un projet unificateu­r de tous les acteurs de la communauté. Unis et solidaire, on sait que l’on peut aller plus loin et faire mieux. Ne baissons pas les bras dans un projet réducteur et rouleau compresseu­r qui détruit tout sur son passage et qui défigurera à jamais notre communauté. Comme on dit souvent, il faut penser plus loin que le bout de son nez.

Et Mgr Jodoin là-dedans, qui a le pouvoir légal sur l’église? Il semble que les gens en ont peur comme s’ils n’adhèrent pas à sa vision, il n’y aura pas d’église. Moi, je dis que c’est à nous d’imaginer la suite inspirée de nos racines et proposer un projet de faire église et de faire communauté et où on pourrait attirer des partenaire­s financiers municipal-provincial-fédéral pour bonifier ce projet d’église. Mgr Jodoin, comme il nous l’a déjà dit dans nos désaccords passés, si tous les gens sont unis et solidaires dans une vision commune, je suis sûre qu’il l’appuiera. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lorsqu’il a approuvé les réparation­s des murs de l’église pour plus de 800 000$ et qui sont toujours là. N’est-il pas notre berger? Mais, comme tout berger, il faut l’aider, il faut lui montrer ce que nous pouvons imaginer et ce que nous pouvons faire, il faut l’inspirer.

Soyons forts, soyons fins, soyons à la hauteur de qui nous sommes et imaginons ensemble la suite. Nous trouverons les moyens, et nous sortirons tous vainqueurs de cette terrible tragédie.

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– Acadie Nouvelle: Vincent Pichard

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