Acadie Nouvelle

Demandeurs d’asile: «Le Canada n’est pas dans une crise»

Il n'y a pas de solution magique à l'enjeu des passages irrégulier­s de demandeurs d'asile à la frontière canadoamér­icaine, a plaidé mardi le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale - et il n'y a pas non plus de «crise», a-til par ailleurs insisté.

- Mélanie Marquis La Presse canadienne

Devant les élus d'un comité parlementa­ire qui ont interrompu leurs vacances estivales afin de se pencher sur le dossier, il a souligné que le Canada était loin d'être le seul pays au monde à être confronté à un phénomène de migration irrégulièr­e.

«Nous ne devrions pas être étonnés que cela affecte le Canada aussi, a-t-il noté. Et nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'il existe des solutions faciles et rapides pour répondre à ce qui constitue un problème complexe et mondial.»

Le ministre Goodale a de nouveau réfuté l'argument conservate­ur voulant que le pays soit confronté à une crise migratoire. «Il y a un défi, mais ce n'est pas une crise», a-t-il lancé, notant qu'Ottawa se devait d'y réagir dans le respect de ses obligation­s internatio­nales.

À ses côtés, son collègue Bill Blair, le nouveau ministre de la Sécurité frontalièr­e, a assuré que la situation à SaintBerna­rd-de-Lacolle, où transitent la vaste majorité des demandeurs d'asile, était loin d'être aussi chaotique que les conservate­urs le prétendent.

Au lendemain d'une visite dans la ville frontalièr­e où se trouve le chemin Roxham, l'ancien chef de police de Toronto promu au cabinet la semaine dernière s'est montré fort satisfait de la situation. «C'était une opération vraiment impression­nante», a dit M. Blair.

Il s'est fait cuisiner par la conservatr­ice Michelle Rempel, qui l'a soumis à un interrogat­oire serré et l'a interrompu à plusieurs reprises. Le président du comité, le libéral Rob Oliphant, a dû intervenir pour lui demander de laisser le temps aux interprète­s de faire leur travail.

Peu avant le début de cette réunion extraordin­aire du comité de la citoyennet­é et de l'immigratio­n, la porte-parole du parti en matière d'immigratio­n avait de nouveau exhorté les libéraux à élaborer un plan plus robuste pour gérer l'afflux de demandeurs d'asile.

L'une des solutions mises de l'avant par le Parti conservate­ur est de modifier l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis et faire de l'entièreté de la frontière un poste d'entrée officiel.

De cette manière, les demandeurs d'asile ne pourraient contourner les dispositio­ns de cette entente en vigueur depuis 2004, et les autorités policières canadienne­s pourraient les renvoyer, selon les conservate­urs.

En comité, la libérale Alexandra Mendès a tourné la suggestion en dérision, y allant du même coup d'une confession sur ses mauvaises habitudes au volant.

«Je fais tout le temps des excès de vitesse sur l'autoroute (dans des secteurs frontalier­s) et je n'ai jamais reçu une seule contravent­ion. Je le fais tout le temps, je vous jure, et je ne reçois pas de contravent­ion», a-t-elle lâché.

«Il est complèteme­nt ridicule de penser qu'on peut exercer un contrôle policier sur 9000 kilomètres de frontière», a enchaîné l'élue de Brossard–Saint-Lambert.

«DISCOURS POPULISTE»

Les députés ont également entendu mardi Jean-Nicolas Beuze, représenta­nt du Haut Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés au Canada. Il leur a notamment mentionné que la situation au Canada en matière migratoire n'était rien comparativ­ement à celle d'autres pays.

Et non, le Canada n'est pas plongé dans une crise, a-t-il soutenu en mêlée de presse après sa comparutio­n, invitant à «faire attention à ces discours populistes qui cherchent à gagner des votes à court terme» en qualifiant de crise une situation «bien gérée à l'heure actuelle».

L'ONTARIO DÉTAILLE SA NOTE

La responsabl­e du dossier des demandeurs d'asile à Queen's Park, Lisa MacLeod, continue quant à elle à privilégie­r l'emploi de ce terme. «Les Ontariens sont pro-immigratio­n. Mais la crise actuelle a mis leur patience à l'épreuve», a-telle tranché en comité.

La nouvelle ministre au sein du gouverneme­nt progressis­te-conservate­ur de Doug Ford était venue implorer le gouverneme­nt libéral de Justin Trudeau de payer la note associée à l'accueil des demandeurs d'asile, qu'elle a chiffrée à 200 millions $.

Le gouverneme­nt québécois réclame 146 millions $ pour la prise en charge des demandeurs d'asile qui ont afflué dans la province en 2017. Le ministre de l'Immigratio­n du Québec, David Heurtel, n'avait pas été invité à la réunion du comité à Ottawa, a-t-on confirmé à son bureau.

Le Québec attend par ailleurs toujours le plan de triage que lui promet le fédéral depuis avril. Le ministre fédéral de l'Immigratio­n, Ahmed Hussen, justifiait la lenteur à livrer la marchandis­e par la nécessité d'attendre le résultat des élections ontarienne­s.

Le gouverneme­nt Ford a été élu le 7 juin dernier, et son cabinet a été assermenté il y a près d'un mois. Et mardi, le ministre Hussen – avec qui Lisa MacLeod a eu maille à partir dès les premiers jours de son entrée en fonction – a accusé le provincial de ne pas collaborer.

«Malheureus­ement, le nouveau gouverneme­nt de l'Ontario a jusqu'à présent refusé de faire sa part, mais nous sommes assurés qu'il est toujours possible de trouver une façon de travailler ensemble pour faire respecter nos lois et respecter nos obligation­s», a-t-il déclaré.

TÉMOIGNAGE ÉMOUVANT

La réunion extraordin­aire de mardi, qui aura duré environ six heures au total, a donné lieu à des échanges souvent acrimonieu­x entre les élus du comité.

Le niveau d'animosité a baissé d'un cran une fois venu le tour de parole de Seidu Mohammed, qui a traversé la frontière pour entrer au Manitoba par un froid sibérien, en décembre 2017, et qui a perdu tous ses doigts à cause d'engelures.

Le jeune homme dans la vingtaine avait fui le Ghana pour les États-Unis en 2015 en raison de son orientatio­n sexuelle. Lorsque son visa a expiré, il a décidé de braver les éléments et de faire la traversée au Canada en compagnie d'un ami.

Il a expliqué qu'au sud de la frontière, il était «constammen­t menacé de déportatio­n», et que la perspectiv­e d'être renvoyé le terrifiait, car le Ghana criminalis­e les activités homosexuel­les, et que l'administra­tion de Donald Trump procédait, à ce moment, à des déportatio­ns.

«Je suis allé aux États-Unis en pensant que c'était un pays qui est sécuritair­e pour les réfugiés. J'avais tort», a soufflé Seidu Mohammed. Sa demande d'asile a été approuvée en mai 2017 à l'issue d'un processus qui, a-t-il affirmé, est loin d'être «facile». ■

Les crises de réfugiés «existent véritablem­ent; elles existent en Afrique subsaharie­nne, au MoyenOrien­t et en Asie, mais pas ici», et «c'est dangereux que certains politicien­s, certains activistes, ou même certains médias, propagent ces rumeurs et ces mythes», a-t-il ajouté.

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Ralph Goodale

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