Pourquoi du péage sur le pont de l’Î.-P.-É. et pas sur celui de Montréal?
Lors de la dernière campagne électorale fédérale, le chef du Parti libéral, Justin Trudeau, avait annoncé que, s’il était élu, il n’y aurait pas de péage sur le nouveau pont Champlain de Montréal, un projet de 4,2 milliards $.
Le 29 mai, le vérificateur général du Canada a rapporté que la décision d’éliminer les droits de péage sur le pont Champlain qui appartient au gouvernement fédéral fera perdre au gouvernement du Canada des recettes d’au moins 3 milliards de dollars sur 30 ans. Une précédente évaluation réalisée par le directeur parlementaire du budget avait établi les pertes à 4,3 milliards $.
Si nous faisons une moyenne de ces sommes, le gouvernement du Canada perdrait annuellement 121,7 millions$, et ce, seulement pour les droits de péage.
Contrairement à ce qui prévaut pour le pont de la Confédération à l’Île-du-Prince-Édouard - dont les droits de péage s’élèvent à 47$ pour une voiture -, le gouvernement assume aussi tous les frais d’entretien du pont Champlain qui se chiffrent en moyenne à 25,1 millions $ par année, ce qui porte le coût annuel pour l’entretien et l’élimination des droits de péage concernant le pont Champlain à 146,8 millions $.
L’ancien ministre fédéral de l’Infrastructure et des Collectivités, Amarjeet Sohi, a affirmé que le nouveau pont Gordie-Howe à Windsor, en Ontario, dont le coût pourrait atteindre 4,8 milliards $, sera à péage.
Le Canada se trouve devant une situation où nous avons deux importants projets de pont de plusieurs milliards de dollars en cours; les deux coûtent plus de 4 milliards$. Toutefois, il y aura un péage sur le pont Gordie-Howe, alors que l’accès au nouveau pont Champlain à Montréal sera gratuit.
De leur côté, les résidants de l’Île-du-Prince-Édouard continuent de devoir payer 47$ pour emprunter le pont de la Confédération, dont le coût de construction s’est établi à un peu plus de 1 milliard $.
Pourquoi les contribuables canadiens paient-ils la totalité des coûts de construction et d’entretien du pont Champlain de Montréal, tandis que les utilisateurs des autres ponts paient ces mêmes coûts en s’acquittant d’un péage? Pourtant, les trois ponts appartiennent à l’État fédéral.
Plus précisément, pourquoi le gouvernement fédéral est-il prêt à dépenser au moins 146 millions $ par année pour éliminer le péage sur le pont Champlain et en assumer les frais d’entretien, alors qu’il refuse de dépenser beaucoup moins pour éliminer les droits de péage sur le pont de la Confédération?
Le montant qui serait versé à l’exploitant du pont de la Confédération et les pertes de recettes provenant des droits de péage seraient moins élevés que le coût annuel de l’entretien et de l’élimination du péage pour le pont Champlain.
Le problème avec cette incohérence va bien au-delà des enjeux de simple équité, même si ces enjeux sont importants. Cet engagement à faire du nouveau pont Champlain un pont sans péage va à l’encontre de la volonté du gouvernement de «tirer parti de cet investissement dans l’infrastructure, en attirant du capital privé de façon à multiplier le niveau d’investissement», comme il l’avait affirmé dans son propre énoncé économique de 2016.
En d’autres termes, il ne faudra plus s’attendre à ce que le gouvernement prenne en charge la totalité des coûts associés aux grands projets d’infrastructures; il fera plutôt équipe avec le secteur privé ou lui confiera entièrement la réalisation des projets.
Évidemment, les investisseurs privés ne vont pas financer les projets d’infrastructures au Canada par pure bonté; ils s’attendent à récupérer leurs investissements et plus encore, ce qui signifie des droits de péage.
Se pose alors la question suivante: si les revenus tirés des droits de péage sont si essentiels à la viabilité d’un programme de renouvellement d’infrastructures, pourquoi n’y aura-t-il pas de péage sur le nouveau pont Champlain?
Si tous les contribuables canadiens doivent financer collectivement tant la construction que l’entretien du pont Champlain et que Montréal obtient un pont sans péage d’une valeur de 4 milliards $ financé par le gouvernement fédéral, alors les Canadiens dans le reste du pays sont en droit d’être traités de la même manière.
Si nous abandonnons la politique, de longue date, de l’utilisateur-payeur pour les mégaprojets touchant les transports au Canada, alors les gens de l’Île-du-Prince-Édouard peuvent s’attendre à l’élimination des droits de péage sur le pont de la Confédération. Et les résidents du Sud de l’Ontario devraient, quant à eux, pouvoir emprunter leur nouveau pont sans avoir à payer pour le construire et l’utiliser.
Cependant, la question que le gouvernement du Canada doit poser – et à laquelle il doit répondre – est la suivante: la décision de ne pas instaurer de péage sur le pont Champlain est-elle saine financièrement? Et pourquoi les Canadiens sont-ils traités différemment selon leur lieu de résidence? ■