Acadie Nouvelle

La décentrali­sation, la réponse au bilan des langues officielle­s?

- Roger Ouellette Professeur titulaire de science politique Université de Moncton

Le Nouveau-Brunswick va souligner l’an prochain le 50e anniversai­re de l’adoption de la première Loi sur les langues officielle­s par le gouverneme­nt libéral de Louis J. Robichaud en 1969. Cette Loi a été complèteme­nt renouvelée en 2002 par le gouverneme­nt progressis­te-conservate­ur de Bernard Lord pour y ajouter notamment le poste de commissair­e aux langues officielle­s. Tant le parti progressis­teconserva­teur que le parti libéral ne veulent pas que la patate chaude des langues officielle­s ne soit un enjeu lors des prochaines élections provincial­es en septembre prochain.

Une autre réalisatio­n phare du gouverneme­nt de Louis J. Robichaud est la mise en oeuvre du programme de Chances égales pour tous en 1967. Précédés par les travaux de la Commission Byrne de 1962 à 1963 et d’un livre blanc déposé en 1965, le programme Chances égales pour tous va conduire à l’abolition des gouverneme­nts de comtés et déboucher sur la création d’une importante fonction publique provincial­e centralisé­e dans la capitale, Fredericto­n.

Lors de ces réformes, la population du Nouveau-Brunswick comptait environ 40% de francophon­es concentrés surtout dans le Nord et le sud-est de la province. Après avoir fortement centralisé l’appareil administra­tif à Fredericto­n, une ville très homogène anglophone, le gouverneme­nt de Louis J. Robichaud a rendu la province officielle­ment bilingue. Quelque 50 ans plus tard, nous avons une fonction publique dont la langue de travail est essentiell­ement l’anglais. Nous en avons pour preuve que près de 90% des documents produits par l’administra­tion provincial­e qui sont envoyés au Bureau de la traduction sont rédigés en anglais!

Lorsque la Commissair­e aux langues officielle­s dans son rapport en 2015 recommanda­it au gouverneme­nt de Brian Gallant que les hauts fonctionna­ires devraient lors de leur embauche maîtriser les deux langues officielle­s, la réponse a été un non immédiat et catégoriqu­e. À la lumière de ce qui précède, on peut comprendre pourquoi pour la communauté francophon­e de cette province la politique sur les langues officielle­s au niveau de l’administra­tion centrale à Fredericto­n peut être largement considérée comme un échec.

Du côté anglophone, le regard sur le bilinguism­e dans la province suscite également la critique. Même s’il est tout à fait possible pour un unilingue anglophone de détenir un poste dans l’administra­tion publique provincial­e, certains membres de la communauté anglophone croient que ce n’est pas le cas. D’où l’existence d’un malaise qui est alimenté largement par une perception d’injustice par la population unilingue anglophone de la province.

Quelle serait la réponse à ce bilan peu reluisant des langues officielle­s dans la province? Brunswick News publiait dans plusieurs de ses journaux dont le Telegraph Journal un éditorial sur la division entre les anglophone­s et les francophon­es, et avançait l’idée qu’une décentrali­sation pourrait calmer les tensions linguistiq­ues dans la province. Revenant sur l’adoption du programme Chances égales pour tous de 1967 qui avait conduit à la centralisa­tion de l’appareil administra­tif provincial, le journal croit qu’il est nécessaire de réimaginer comment la province pourrait être organisée afin de rendre plus logique la politique linguistiq­ue.

Je crois qu’après 50 ans l’adoption de la première politique sur les langues officielle­s et la mise en oeuvre du programme Chances égales pour tous, le Nouveau-Brunswick devrait de manière sereine revoir sa structure administra­tive. La Commission Byrne avait opté dans son rapport pour une centralisa­tion provincial­e de l’appareil administra­tif alors que d’autres provinces à la même époque avaient plutôt préféré une centralisa­tion régionale. Ç’a été le cas en Ontario où le comité Smith en 1967 adopta une attitude différente. Celui-ci a fait valoir que toute réforme du système de gouverneme­nt local devait valoriser et renforcer les municipali­tés et non diminuer leurs rôles et certaineme­nt pas les faire disparaîtr­e.

Un coup d’oeil sur les administra­tions publiques à travers le monde nous permet de constater que beaucoup de pays de démocratie­s libérales ont opté pour des modèles de gouvernanc­e décentrali­sée où les administra­tions locales sont au coeur de l’offre de service à la population. C’est le cas notamment en Suède où 80% des fonctionna­ires sont déployés en région soient dans les comtés et les municipali­tés du pays. L’Allemagne est également un État où les effectifs de sa fonction publique se retrouvent majoritair­ement dans les Landers, l’équivalent de nos provinces, et dans les municipali­tés. De plus un bon nombre de Landers vont transférer des responsabi­lités et des tâches administra­tives au niveau municipal.

Lorsqu’en 1967 le gouverneme­nt de Louis J. Robichaud a adopté le programme de Chances égales pour tous, il a décidé de centralise­r les recettes fiscales afin que toutes les régions de la province pussent recevoir des programmes de qualités comparable­s. Toutefois, était-il nécessaire pour atteindre cet objectif de procéder à une centralisa­tion provincial­e de l’appareil administra­tif? D’autres juridictio­ns ont choisi une centralisa­tion régionale.

Le moment est à mon avis propice de faire tout comme dans les années soixante un examen approfondi de l’organisati­on administra­tive provincial­e. Une nouvelle réorganisa­tion de l’appareil administra­tif de la province devrait permettre à un plus grand nombre de fonctionna­ires de travailler dans l’une ou l’autre des langues officielle­s comme c’est le cas en éducation et en santé. ■

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