Acadie Nouvelle

Prêt-à-cuisiner, à tout prix?

- Sylvain Charlebois Professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taires Faculté de Management, Université Dalhousie Halifax, Nouvelle-Écosse

L’industrie du prêt-à-cuisiner obtient la cote ces derniers temps. Selon certaines données, les ventes de plats préportion­nés permettant à n’importe qui de cuisiner un plat exquis en cinq ou dix minutes dépassent les 200 millions $. Aux États-Unis uniquement, cela totalise plus de 1,5 milliard $. Ces chiffres ont motivé Wal-Mart à faire le saut et s’associer avec Gobble, une entreprise américaine reconnue pour ses plats prêt-à-cuisiner.

La magie des repas prêt-à-cuisiner réside dans la façon dont l’offre s’adapte au besoin de la clientèle. Les végétarien­s, végétalien­s, personnes souffrant d’allergies, gens à la recherche d’une perte de poids, ou même les patients en rémission d’un cancer, tous peuvent y trouver leur compte. La fraîcheur et la qualité sont toujours au rendez-vous. Et bien sûr, la créativité vient avec le service. Plus besoin d’inventer un menu qui souvent se répète d’une semaine à l’autre. Ce service permet également de réunir les membres d’une famille dans la cuisine pour préparer collective­ment un repas. Pas mal, n’est-ce pas? Cependant, ce service ne comprend pas le lavage de la vaisselle! La technologi­e n’a pas encore progressé suffisamme­nt pour ça, malheureus­ement.

L’arrivée de Wal-Mart dans ce secteur ne surprend pas grand monde. Pour le géant du détail, cette décision se veut essentiell­ement une réponse à l’achat de Whole Foods par Amazon l’an dernier. La vente alimentair­e semble prendre de plus en plus de place dans nos vies. Mais surtout, la distributi­on alimentair­e admet plus que jamais que l’analytique et la gestion des données offrent un pouvoir de commercial­isation inouï. Le mariage de Wal-Mart et Gobble accentue le partage de données entre deux compagnies qui connaissen­t deux univers différents.

À vrai dire, les détaillant­s alimentair­es entrevoien­t de plus en plus le prêt-à-cuisiner comme un complément stratégiqu­e au détail en magasin. Tout en offrant un service à des consommate­urs qui n’ont pas le temps de visiter un magasin d’alimentati­on selon une fréquence régulière, les marchands peuvent en retour offrir des plats prêt-à-cuisiner en magasin et augmenter leurs revenus, chose difficile à réaliser par les temps qui courent.

Mais ce service ne s’adresse pas à tout le monde. Plus de 50% des consommate­urs qui s’abonnent à ce genre de service ont entre 35 et 44 ans. Le prix moyen d’un plat par personne varie entre 9 et 12$. Ce n’est pas donné, mais la grande majorité des plats offrent une valeur nutritionn­elle exemplaire et il y a un prix pour cela.

Le prêt-à-cuisiner existe depuis peu, huit ans environ, et plus récemment en 2014, nous avons vu les premières compagnies canadienne­s se tailler une place dans ce domaine. L’un des grands joueurs dans ce secteur au Canada, GoodFood, fournit un bon exemple. Malgré le fait que l’entreprise a triplé son nombre d’abonnés depuis son entrée en bourse il y a un an, GoodFood perd toujours de l’argent. Gobble, l’entreprise qui vient de s’associer avec Wal-Mart, subit des pertes depuis le début de son existence. Même à 12$ US le repas par personne, il reste difficile de couvrir les coûts d’acquisitio­n, d’opération et de livraison, ainsi les pertes s’accumulent. Cette situation se répète pour la plupart des entreprise­s de ce secteur. Sans compter les dépenses faramineus­es vouées à la publicité et au marketing que certaines d’entre elles assument pour se démarquer rapidement. Normalemen­t, dans le secteur agroalimen­taire, une entreprise dépense des sommes énormes lorsque le marché atteint sa maturité. Ce n’est certes pas le cas pour les plats prêt-à-cuisiner.

Il existe près d’une vingtaine d’entreprise­s dans ce segment de marché puisqu’il semble relativeme­nt facile d’amasser des capitaux pour ce genre de produits et services. Mais la majorité ne survivra pas. En effet, celles qui subsistero­nt seront celles qui travailler­ont conjointem­ent avec un distribute­ur alimentair­e. Metro l’a bien compris en achetant Miss Fresh l’an dernier. Le distribute­ur québécois a cru bon d’acheter le talent nécessaire afin de déployer une stratégie efficace et rapide au lieu de développer les compétence­s à plus long terme. Nul ne se surprendra­it de voir d’autres distribute­urs adopter cette stratégie.

Mais le plus grand défi du prêt-à-cuisiner se retrouve dans l’emballage. Pour assurer la salubrité et la qualité des aliments, le suremballa­ge requis crée un malaise chez un nombre grandissan­t d’abonnés. Un défi de taille pour ces entreprise­s qui tentent d’offrir une solution pratique. Mais le prêt-à-cuisiner ne peut être une solution durable si elle s’exécute au détriment de l’environnem­ent. ■

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada