Acadie Nouvelle

Bilinguism­e des chefs: un aveu d’échec

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Radio-Canada Acadie est la cible de critiques après avoir décidé d’offrir à ses télespecta­teurs un forum public bilingue en lieu des traditionn­els débats des chefs. Si ce compromis ne fait à peu près l’affaire de personne dans la communauté acadienne, il est d’abord et avant tout le résultat de l’incapacité du chef conservate­ur Blaine Higgs à débattre dans notre langue.

Pour comprendre la décision de RadioCanad­a Acadie de ne pas organiser cette année un débat dans la langue de Molière, il faut remonter à il y a huit ans.

En 2010, le Parti vert avait délégué son chef Jack MacDougall. Incapable de s’exprimer correcteme­nt en français, son propos était par moment incompréhe­nsible.

L’émission humoristiq­ue Infoman avait repris des grands bouts de sa “performanc­e”.

À ne pas en douter, l’incident a marqué la direction de l’informatio­n de Radio-Canada, dans ses bureaux de Moncton, qui a juré qu’on ne l’y reprendrai­t plus. Quatre ans plus tard, en 2014, le nouveau chef du Parti vert, David Coon, qui s’exprime pourtant mieux que son prédécesse­ur, n’était pas invité à débattre en compagnie de Brian Gallant, de David Alward et de Dominic Cardy (alors chef du NPD).

Avec cet épisode, Radio-Canada a montré qu’elle ne craignait plus d’organiser un débat malgré l’absence de certains chefs si ceux-ci ne pouvaient pas s’exprimer correcteme­nt dans la langue de Molière. Une décision que nous avions appuyée en éditorial.

La situation s’est toutefois complexifi­ée en 2016 avec le choix des militants progressis­tesconserv­ateurs de confier les rênes de leur formation politique à un chef unilingue. Deux ans plus tard, Blaine Higgs peut lire un discours en français mais est incapable de débattre dans cette langue, aux dires mêmes de ses porte-paroles.

Ne pas inviter le leader d’un parti qui ne dispose qu’un ou d’aucun siège est une chose. Faire de même avec l’un des deux seuls chefs pouvant de façon réaliste aspirer au pouvoir en est une autre. Radio-Canada Acadie n’a pas voulu s’aventurer dans cette direction.

La direction de l’informatio­n a ainsi préféré organiser avec CBC un forum public bilingue. Quatre questions seront posées en français, quatre autres en anglais. Les chefs répondront dans la langue de leur choix. La traduction simultanée fera le reste.

Ce format pose plusieurs problèmes, le principal étant qu’il enlève aux chefs de partis un incitatif important d’apprendre le français. Pourquoi se donner la peine de parler notre langue quand même l’affronteme­nt des chefs se fait désormais avec la traduction simultanée? Rendu là, qu’est-ce qui empêchera CBC d’organiser un débat uniquement dans la langue de Shakespear­e, avec traduction pour les téléspecta­teurs acadiens?

Notons aussi que même s’il y aura un nombre égal de questions dans les deux langues, les chefs pourront répondre dans celle qu’ils préfèrent.

Il y a un autre endroit où ceux-ci agissent ainsi dans la sphère publique: l’Assemblée législativ­e. Les députés anglophone­s y parlent presque toujours en anglais, alors que les francophon­es parlent les deux langues, mais surtout en anglais, afin d’être bien compris de la majorité.

Dans une élection où les clefs de la victoire se retrouvent surtout dans les circonscri­ptions de Moncton, de Fredericto­n et de SaintJean, nous vous laissons deviner quelle langue sera privilégié­e lors du forum public bilingue et quel peuple devra se taper la majorité de la traduction simultanée.

Cet échec n’est pas celui de Radio-Canada. Nous n’aurions pas cette discussion si les partis d’opposition en général et le Parti progressis­te-conservate­ur en particulie­r avaient eu suffisamme­nt de respect à l’endroit de la population acadienne pour se doter d’un chef parfaiteme­nt bilingue.

Mais alors, quelle est la solution? Nous croyons que Radio-Canada aurait quand même dû organiser son débat en français, quitte à le faire sans Blaine Higgs si celuici est incapable de débattre dans notre langue.

Un débat aurait aussi pu être organisé entre les lieutenant­s francophon­es. Un duel entre Roger Melanson (PL), Jeannot Volpé (PC) et Rosaire L’Italien (NPD) n’est pas le débat des chefs en français auquel l’Acadie est en droit de s’attendre, mais c’est quand même mieux que la solution actuelle. Notons par contre que les libéraux s’opposent à cette idée.

Si Radio-Canada tient à tout prix à son format de type forum, elle aurait alors dû en présenter un en anglais et l’autre en français. Étant donné que les chefs ne débattront pas entre eux et qu’ils ne devront répondre qu’à quelques questions, nous croyons que la majorité d’entre eux seraient capables de se débrouille­r pour exprimer leur pensée dans un français plus compréhens­ible que lors d’un débat ou les questions et les attaques proviennen­t de tous bords tous côtés.

Avec un forum bilingue, les chefs unilingues gagnent là où les électeurs francophon­es perdent.

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