Acadie Nouvelle

Ne tirez pas sur l’interprète!

- Alain Otis Dieppe

L’autre jour, on annonçait dans l’Acadie Nouvelle qu’il n’y aurait pas de débat des chefs en français sur les ondes de RadioCanad­a (Un forum bilingue au lieu d’un débat en français à Radio-Canada, Acadie Nouvelle, 17 août 2018, p. 2).

Parmi les critiques qui ont fusé à l’encontre de la tenue d’un forum bilingue, la plus discutable vient de Mme Kingston et de M. (Serge) Rousselle, coprésiden­ts de la campagne du Parti libéral, qui font valoir que «les électeurs francophon­es manqueront des portions entières de réponses dans leur propre langue et, à la place, entendront un ou une interprète tenter de traduire un événement en direct».

Cette situation, disons-le, est très regrettabl­e; elle s’explique par le fait qu’un seul des cinq chefs de parti est «parfaiteme­nt bilingue». Le problème, fautil le préciser, n’est donc pas d’ordre profession­nel, car la compétence des interprète­s n’est nullement en cause.

Malheureus­ement, les coprésiden­ts semblent laisser entendre que les interprète­s ne sauraient se tirer d’affaire avantageus­ement dans ce débat. Pourtant, dans des contextes qui ne sont pas sans rappeler celui d’un débat des chefs, par exemple à l’Assemblée législativ­e, à la Chambre des communes et au Sénat, et dans les conférence­s, les interprète­s savent bien tirer leur épingle du jeu.

Ce qui gêne particuliè­rement dans les propos de Mme Kingston et de M. Rousselle, c’est qu’un doute sur la compétence des interprète­s est exprimé par les mots «tenter de traduire».

Ce sont des commentair­es de gens pourtant bien placés pour savoir comment les traducteur­s et les interprète­s font honneur à leur profession. Ce ne sont pas les seuls ni les premiers à tenter de justifier des positions en égratignan­t au passage la compétence des traducteur­s et des interprète­s. Il y a quelques années, une députée du NPD faisait valoir que les juges de la Cour suprême du Canada devaient être bilingues parce que les traduction­s n’étaient pas toujours parfaites.

Que le concept de forum bilingue irrite, je veux bien; que les juges soient obligatoir­ement bilingues à la Cour suprême du Canada, je veux bien, mais que l’on cesse de pointer du doigt les traducteur­s et les interprète­s.

Sans la traduction et l’interpréta­tion, il y aurait beaucoup de difficulté­s de communicat­ion dans notre province et dans le pays. Nous sommes bien placés pour le savoir. Les traducteur­s et les interprète­s sont des profession­nels qui exercent leur métier avec compétence et qui savent relever les défis qui leur sont posés.

On peut manifester son désaccord à l’endroit de cette décision de RadioCanad­a et de CBC en disant que la formule ne rendra pas justice aux électeurs de langue française; toutefois, de là à dire que la faute en serait à l’interprète, ça ne va pas. L’interprète, rappelons-le, n’y est pour rien: elle ou il ne ferait que dire, de façon plus intelligib­le, ce qu’un chef aurait laborieuse­ment cherché à dire en français.

De grâce, ne mêlons pas les traducteur­s et les interprète­s à ça.

Newspapers in French

Newspapers from Canada