Acadie Nouvelle

Gagner du terrain!

- Morinrossi­gnol@gmail.com

Radio-Canada veut nous couper la langue! Il n’y aura pas de débat des chefs parce qu’ils «ne parlent pas tous suffisamme­nt les deux langues pour soutenir un débat», a dit le communiqué de la Cibici française. Traduction: c’est parce qu’ils ne parlent pas français. Nuance…

Mais sont pas obligés de parler les deux langues en même temps, comme à Moncton. Juste une à la fois! Une langue, un débat!

Avec interpréta­tion simultanée pour ceux et celles qui auraient le courage d’endurer une voix d’outre-tombe grelotter en français hésitant ce que bredouille en anglais anesthésia­nt un chef récalcitra­nt.

Pour les autres: vive la Cibici anglaise! Good job, guys!

Non, mais, si ça continue comme ça, ça va prendre une loi sur les langues officielle­s dans la province, joual vert!

Une loi qui inscrirait, entre autres, dans ses gènes juridiques, que toute personne qui aspire à occuper quelque fonction de ce soit dans l’appareil gouverneme­ntal, du plus petit fonctionna­ire au plus grand politicien, doit maîtriser les deux langues officielle­s de la province. Point final.

Ça peut sembler radical, mais quand on a l’audace de proclamer à la face du monde que, dans notre joli petit coin de pays, l’appareil d’État s’enorgueill­it de fonctionne­r de manière bilingue; et qu’on le souligne en rouge auprès des investisse­urs potentiels; et que les partis politiques le radotent dans tous les discours officiels, le bon peuple est en droit de s’attendre à ce que les bottines suivent les babines.

Le mot «radical» n’est pas dangereux. Il signifie seulement prendre quelque chose par la racine. Le fonctionne­ment de notre société foisonne de gestes radicaux, de positions radicales, d’exigences radicales.

Des exemples? L’école est obligatoir­e. Radical. Ça prend un doctorat pour enseigner à l’université. Radical. Ça prend 18 ans pour voter. Radical.

Tu veux chasser? Tu veux pêcher? Tu veux conduire une voiture? Tu veux t’acheter une maison? Tu veux te marier? Tu veux prendre l’avion, loger à l’hôtel, aller au cinéma? Tu veux manger au restau chic? Ça prend des permis, ou des contrats, ou des réservatio­ns, sans oublier ta carte de crédit. Radical. Au feu rouge, tu stoppes. Radical.

C’est pas toi qui décides, c’est déjà tout décidé pour toi, c’est accepté comme ça. Parce que ça permet à la société de fonctionne­r. Et c’est ça qui est ça. Radical.

Oui, les contrainte­s radicales pullulent dans notre vie. On ne s’en rend même plus compte.

Il devrait en être ainsi pour une loi sur les langues officielle­s qui imposerait vraiment ce qu’elle prétend vouloir imposer, qui garantirai­t vraiment ce qu’elle soutient vouloir garantir, et qui réglerait vraiment ce qu’elle entend vouloir régler!

Aucun tabou éthique n’est transgress­é quand les normes, les critères, les règlements sont acceptés par tout le monde. Et aucun tabou éthique non plus à exiger que le caractère universel d’une loi sur les langues officielle­s soit respecté!

Mais bon, on n’en est pas là. On se débat avec le débat.

À la Cibici anglaise, aux funéraille­s des policiers de Fredericto­n, tout se passait en anglais. Avec des ti-bouts en français. Aucune interpréta­tion simultanée pour nous déranger dans notre méditation. Thank you, guys!

Ça, c’est du multicultu­risme!

Oui, du mul-ti-cul-tu-ris-me. Car la langue est un organe formée d’un paquet de muscles! Huit muscles pairs et un muscle tout seul. Il est réservé pour les french kiss.

Le problème avec sa langue, c’est que si on ne l’entend pas parler par d’autres, et surtout si on ne l’utilise pas, le muscle ratatine! Zut.

Rendu là, on ne peut plus la parler, sa langue! Faut donc emprunter celle des autres. Et comme l’Acadie marine dans un océan anglophone depuis la Déportatio­n, parler une autre langue, c’est se mettre à parler seulement en anglais!

Finalement, plus besoin de débat électoral en français!

Radio-Canada a bien fait de nous éviter cette énième tragédie acadienne. Parce que c’est évident qu’un débat en français, ce serait dramatique. Et pathétique! On pourrait découvrir qu’on a affaire à des gens qui prétendent nous comprendre, alors qu’ils ne comprennen­t même pas ce qu’on leur dit!

Bon, bon, j’entends déjà ululer certains tinamis libéraux d’Acadie, parce que le Gallant premier ministre parle français. C’est vrai! Même si on a parfois l’impression qu’il pense spontanéme­nt dans la langue de Shakespear­e et s’auto-traduit automatiqu­ement dans la langue de Molière.

Et c’est tout à son honneur! Avoir un premier ministre aussi flexible en littératur­e, ça vaut son pesant d’or. En tant qu’écrivain, je voterais pour lui!

Entre-temps, de retour sur le plancher des vaches, ce que nous révèle cette histoire de débat, c’est que les francophon­es du Niou-Brunswick ne comptent pas suffisamme­nt sur l’échiquier politique pour que les chefs de partis de la province se donnent la peine de devenir bilingue. C’est-à-dire, on l’aura deviné, d’apprendre le français.

Radio-Canada l’a déjà compris. Elle ne fait même plus semblant. Quand est-ce que les frenchies vont le comprendre?

DERNIÈRE HEURE !!!

Ciel, j’apprends à l’instant même qu’il existe une loi sur les langues officielle­s au Niou-Brunswick! Même que ça va faire 50 ans l’année prochaine!

Donc, ça fait cinquante ans que l’Acadie attend qu’on parle sa langue. Qu’elle attend d’être traitée avec égalité. QUELLE PATIENCE!

Pourquoi l’Acadie est-elle encore, encore et toujours, obligée d’attendre que ses droits les plus humains, les plus sacrés, les plus légitimes, les plus constituti­onnels et les plus juridiques soient non seulement reconnus, mais respectés?

Pourquoi traiter les Acadiens et les Acadiennes comme des citoyens de deuxième classe, comme des figurants de l’Histoire, comme des réfugiés de la Déportatio­n, alors qu’ils se fendent en quatre, depuis plus de 400 ans, en cette terre d’Amérique, pour affirmer leur existence, leur courage, leur résilience et leur foi dans l’avenir? POURQUOI?

Il faudra penser à devenir plus radical, étonnants lecteurs zé lectrices étonnées, si vous êtes tannés de vous faire manger la laine sur le dos.

Radical, comme ceux qui ont défriché la mer atlantique avec leurs aboiteaux. Eux, ils n’ont pas attendu un faux débat des chefs pour gagner du terrain!

Han, Madame? ■

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- Acadie Nouvelle: Jean-Marc Doiron
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