Débat en français: pas nécessairement avec les chefs
Damien Dauphin Ancien vice-consul de France dans les provinces de l’Atlantique
Canadien depuis février, je vais voter pour la première fois cette année. Originaire du berceau de la Francophonie, j’aimerais nuancer la controverse qui, depuis quelques jours, entoure le choix de Radio-Canada Acadie d’organiser un forum bilingue en vue des élections provinciales. Au moment où j’écris ce texte, j’apprends que le diffuseur public a décidé de l’annuler et qu’il relance les partis politiques en vue d’organiser un débat en français.
Que dit la lettre que l’Acadie Nouvelle a publiée le 22 août et qui réclame un débat des chefs en français? «Un débat en français permet également aux électeurs d’évaluer la capacité des différents chefs de parti de s’exprimer dans cette langue; une compétence révélatrice du degré de leur engagement envers le respect des droits linguistiques et des enjeux de la communauté acadienne francophone de la province.»
Révélatrice, vraiment? Richard Hatfield ne parlait pas un mot de français et pourtant il a renforcé la Loi sur les langues officielles qui venait d’être promulguée par le gouvernement précédent.
Mesurons donc le degré d’engagement des chefs. Parmi ceux-ci, trois qui n’ont pas eu la chance de grandir et d’étudier dans un environnement bilingue ont fait des efforts pour apprendre le français, et ce à un âge où l’apprentissage est beaucoup plus difficile que durant l’enfance. Ils ne sont toutefois pas en mesure de croiser le fer dans la langue de Molière. De plus, le seul qui soit capable de s’exprimer couramment dans les deux langues officielles le fait en français au prix de nombreux anglicismes.
Or, et c’est particulièrement crucial en politique, les mots ont un sens. Il n’est question ici que du registre de langue. Les francophones seraient-ils vraiment respectés si l’on exigeait des chefs qu’ils s’expriment en français, avec le risque élevé de le faire avec des mots qui ne refléteraient pas exactement leur pensée et qui dénatureraient leur message?
Quelle que soit l’issue du scrutin du 24 septembre, j’ai confiance que le prochain gouvernement saura célébrer dignement le cinquantenaire de la Loi sur les langues officielles. À cet égard, le premier indicateur sera la désignation d’un nouveau commissaire aux langues officielles qui soit capable de remplir efficacement son mandat dans l’intérêt des deux communautés linguistiques. En attendant, pour les raisons exposées ci-dessus, je n’estime pas obligatoire d’organiser un débat des chefs en français. Le débat électoral est certes une tradition, mais il est évolutif et modulable en fonction des circonstances. Par exemple, en 2017, la télévision française (TF1, en l’occurrence) a organisé pour la première fois, avant le premier tour, une émission moitié forum, moitié débat entre les 11 candidats à la présidentielle.
Au Nouveau-Brunswick, l’électorat francophone sera véritablement respecté si un débat est organisé avec des représentants capables de s’exprimer en français. La politique est un travail d’équipe, de nature collégiale. Il n’est donc pas nécessaire d’envoyer le chef pour débattre avec les concurrents. À cet égard, il me semble que la balle est dans le camp du Parti libéral.