Acadie Nouvelle

Bayer, le nouveau «Satan» de l’agroalimen­taire?

- Sylvain Charlebois

Professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taires, faculté de Management, Université Dalhousie

Même si l’entreprise n’existe plus, Monsanto fait encore jaser. Un jury californie­n a récemment condamné l’entreprise basée à St. Louis de payer 289 millions $ US à un jardinier pour avoir manqué à ses devoirs de bien avertir ce dernier des risques inhérents au glyphosate, mieux connu sous le nom de Roundup. L’énormité de ce montant étonne, considéran­t que le procès n’impliquait qu’un seul plaignant, un jardinier d’une école élémentair­e. Puisque près de 5000 procédures similaires à l’étude suivent leur cours aux États-Unis, les déboires de Monsanto risquent de ne pas s’arrêter là.

Cependant, le cauchemar de Monsanto appartient désormais aux actionnair­es d’une autre méga entreprise du secteur biotechnol­ogique, puisque Bayer, la géante allemande, a fait l’acquisitio­n de Monsanto il y a quelques mois pour la somme astronomiq­ue de 62 milliards $ US, comptant. C’est beaucoup d’argent pour l’achat d’une entreprise dont l’image se fait carrément massacrer par les environnem­entalistes depuis presque trois décennies. Les mots «Frankenfoo­ds» et «Monsatan» sont dorénavant associés avec le nom de l’entreprise basée à St. Louis.

Au moment de la transactio­n, les actionnair­es de Bayer saluaient cette décision. D’emblée, Monsanto offrait à Bayer une panoplie de produits pesticides et herbicides complément­aires aux ambitions de son agenda de recherche en agricultur­e et lui ouvrait la porte du lucratif marché de l’Amérique du Nord. Monsanto apportait aussi son historique entaché de scandales, de controvers­es et de mauvaise presse, mais sans plus. Le jugement de la Californie et la décision de demander à l’entreprise de verser pratiqueme­nt 300 millions $ à un seul jardinier ont sûrement ébranlé Bayer.

L’aspect politique du procès crève les yeux compte tenu du jury composé de citoyens vraisembla­blement prédisposé­s à détester Monsanto et ses produits, dont le glyphosate, le Roundup et les OGM. Après tout, c’est la Californie. L’objectivit­é du processus reste donc particuliè­rement douteuse. Tout porte à croire cependant que Monsanto et Bayer auront gain de cause en appel.

Mais si l’on s’en tient à la science, il n’existe toujours aucun consensus sur l’utilisatio­n du glyphosate. Pendant que plusieurs études indiquent que le glyphosate représente un risque pour la santé humaine, plus de 800 études publiées dans des revues scientifiq­ues réputées affirment que l’utilisatio­n du produit dans nos champs constitue un risque négligeabl­e. De son côté, l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) se prononce timidement sur le sujet. Le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer lié à L’OMS vient de publier un rapport classifian­t le produit comme «agent probableme­nt cancérogèn­e pour l’humain», mais rien ne s’avère encore clair.

Somme toute, dans le jugement californie­n, on blâme Monsanto de ne pas avoir communiqué les risques liés à l’utilisatio­n du produit et non pas d’avoir utilisé un produit «cancérigèn­e». Il faut donc nuancer les choses.

Malgré cela, Monsanto ne montre pas patte blanche. Il faut se le dire, Monsanto n’a pas vraiment aidé sa cause depuis le début de ses péripéties dans le monde agricole. L’agricultur­e et le secteur agroalimen­taire nous lient tous, chose que Monsanto n’a jamais su comprendre. Croyant que «la science» justifiait tout, Monsanto n’a jamais mis sa priorité sur ses relations avec le public. Il aura fallu attendre qu’à la toute fin pour que l’entreprise de St. Louis participe à des rassemblem­ents citoyens, après avoir poussé du revers de la main toute invitation pendant des années. L’arrogance sans précédent qui régnait chez Monsanto a fait d’elle l’une des entreprise­s les plus détestées au monde.

Et voilà que Bayer hérite de ce bagage. Bayer qui, contrairem­ent à Monsanto, a historique­ment été plus exposée aux consommate­urs en vertu des marques qu’elle représente, Aspirin étant la plus connue. Cette entreprise qui existe depuis 156 ans et oeuvre dans plusieurs domaines constitue quatre fois la taille de Monsanto. Plus important encore, elle a su interagir avec le public depuis des années. La communicat­ion pour Bayer revêt une importance capitale.

L’expérience de Bayer à gérer l’opinion publique aidera l’entreprise à passer au travers. Cependant, les risques demeurent énormes. Pendant des années, Monsanto représenta­it une cible de choix pour les groupes d’intérêts anti-OGM. Bayer se retrouve maintenant à quelques erreurs près de devenir le prochain «Satan» de l’agroalimen­taire. ■

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